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par un moyen frauduleux qui pouvait être immédiatement découvert, était la pire imprudence. Et il serait prodigieux que, par prudence, il eût ajouté les risques du faux au risque de la trahison.

Mais ce n’est pas tout. Comment admettre qu’Esterhazy ne s’est pas étonné plus tôt de n’avoir pas de réponse ?

Il prétend avoir adressé au capitaine Brault son mémoire sur Eupatoria en février 1893.

Il faut bien qu’il place cet envoi prétendu à cette date, avant le bordereau, pour pouvoir dire que Dreyfus l’a décalqué. Et c’est seulement quatre ans après, le 29 octobre 1897, qu’il écrit au capitaine Brault pour lui demander s’il a reçu son mémoire !

Il prétend que sa défiance n’a été éveillée que lorsque le Matin a publié le fac-similé du bordereau et qu’il a pu ainsi constater les ressemblances effrayantes de ce bordereau avec sa propre écriture.

Mais le Matin a publié ce fac-similé le 10 novembre 1896. Tout de suite Esterhazy a été troublé ; tout de suite il a manœuvré avec du Paty de Clam et ses amis de l’État-Major pour perdre le colonel Picquart.

Comment n’a-t-il pas songé dès ce moment-là à s’inquiéter et à écrire au capitaine Brault ? Comment a-t-il attendu presque une année, du 10 novembre 1896 au 29 octobre 1897 ?

Tout cela ne tient pas debout. Et voici enfin à quoi Esterhazy n’a point songé. Il n’a point vu que lui-même se mettait en contradiction grossière avec son récit de la Libre Parole du 15 novembre 1897.

Là, il a dit que si Dreyfus ne l’a pas dénoncé au moment du procès, en 1894, c’est parce que, tout en décalquant son écriture, il ignorait son nom.

Cela n’a pas le sens commun, mais il faut bien qu’Esterhazy tente d’expliquer l’inexplicable.

Mais, maintenant, si ce que raconte Esterhazy de l’affaire du capitaine Brault est vrai, Dreyfus savait très bien que l’écriture décalquée par lui était d’Esterhazy