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femme pour lui expliquer qu’il avait décalqué l’écriture d’un officier inconnu et qu’il s’agissait de retrouver le nom de cet officier.

Mais si Dreyfus et sa femme pouvaient, avant le départ du condamné, convenir d’un langage mystérieux et compliqué, à plus forte raison Dreyfus pouvait-il, dès ce moment-là, expliquer à sa femme son moyen de défense.

Dès lors, la famille de Dreyfus aurait immédiatement cherché le nom de l’officier dont Dreyfus avait décalqué l’écriture ; et comme il ne peut être bien difficile de retrouver le nom et la qualité d’un homme dont on s’est, de parti pris, procuré l’écriture, c’est avant de quitter la France que Dreyfus aurait connu le nom d’Esterhazy et l’aurait livré.

Mais, je le répète, j’ai honte de discuter ces inventions du misérable Esterhazy tant elles sont violentes d’absurdité.

Supposer que Dreyfus a pris la précaution de décalquer l’écriture d’un autre homme afin de rejeter sur lui le crime du bordereau, et qu’il a négligé de s’enquérir du nom de cet homme ; supposer ensuite que du fond de sa prison, à l’île du Diable, il a réparé cet oubli par des signes cabalistiques envoyés à ses amis de France, c’est outrager si audacieusement le bon sens, que cela ressemble à une gageure.

Pour que la Libre Parole, journal officiel d’Esterhazy, ait inséré ce plaidoyer du traître et ait affecté de le prendre au sérieux, il faut vraiment que la presse cléricale et antisémite croie qu’en France toute pensée est morte.

Non, certes, et contre ceux qui ont essayé ainsi de mystifier la nation de vigoureuses colères s’accumulent.

Dira-t-on que Dreyfus n’a pas signalé Esterhazy de peur de découvrir sa propre machination ! Ça, encore, est absurde, car Dreyfus, s’il a décalqué l’écriture d’Esterhazy, a dû imaginer un procédé pour le mettre en cause au jour du péril.