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naissait pas personnellement son répondant, Dreyfus ne réussit pas à le mettre en cause au moment du procès. »

Oserai-je dire que c’est le comble de l’absurdité ? Il est clair que si Dreyfus se procurait l’écriture d’un autre officier, afin de la décalquer dans le bordereau et de rejeter au besoin sur lui ledit bordereau, son premier soin était de connaître le nom de l’homme dont il se procurait ainsi l’écriture.

À quoi vraiment lui aurait servi de décalquer l’écriture d’un autre homme s’il avait ignoré le nom de celui-ci et s’il n’avait pu le signaler aux juges ?

J’ai presque honte d’insister sur l’absurdité de ce raisonnement d’Esterhazy tant elle est évidente. Et il est incroyable que la Libre Parole ait pu prendre au sérieux, une minute, l’explication fantastique qu’elle insérait.

Il est évident que si Dreyfus s’était procuré, pour la décalquer, l’écriture d’un autre officier, il aurait su le nom de l’officier et au procès il l’aurait dit.

S’il ne l’a pas dit, c’est qu’il ne l’a pas su ; s’il ne l’a pas su, c’est qu’il n’avait pas décalqué son écriture, et si l’écriture d’Esterhazy n’a pas été décalquée par Dreyfus, c’est que le bordereau était de l’écriture d’Esterhazy et aussi de la main d’Esterhazy ; c’est qu’Esterhazy est le véritable auteur du bordereau, le véritable traître.


II

Mais Esterhazy se heurte à une autre difficulté : il n’est pas obligé seulement d’expliquer comment Dreyfus, au moment du procès, ignorait le nom de l’homme dont il n’avait décalqué l’écriture que pour pouvoir le nommer. Il est obligé encore d’expliquer, comment Dreyfus, deux ans après sa condamnation, avait appris, à l’île du Diable, le nom d’Esterhazy.