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Saint-Morel et le système de défense exposé dans la Libre Parole, un jour auparavant par Esterhazy lui-même.

D’après Esterhazy, le bordereau est fait avec des mots de sa propre écriture, traîtreusement décalqués par Dreyfus, et c’est par cette machination que Dreyfus veut perdre Esterhazy. D’après M. Pauffin de Saint-Morel, envoyé de Boisdeffre, le bordereau était bien de l’écriture de Dreyfus ; mais les amis du traître avaient trouvé, après coup, une écriture qui ressemblait à la sienne et ils essayaient ainsi de substituer Esterhazy à Dreyfus.

Évidemment, les deux inventions sont contradictoires : l’État-Major, pour sauver Esterhazy, était résolu à tous les mensonges, mais dans ces mensonges il n’avait pas su, d’emblée, mettre l’accord.

C’est, d’ailleurs, par la contradiction, que tout naturellement les menteurs se perdent.


V

La version du commandant Pauffin de Saint-Morel était à coup sûr moins dangereuse pour Esterhazy que celle d’Esterhazy lui-même. Déclarer, comme le fait Esterhazy, que le bordereau est fait avec l’écriture d’Esterhazy, décalquée par Dreyfus, c’est se créer bien des embarras, c’est s’obliger à bien des explications difficiles, c’est mettre la main dans l’engrenage des aveux.

Au contraire, il n’était pas compromettant pour lui de dire, avec le commandant Pauffin, que les amis de Dreyfus avaient constaté, après coup, une certaine ressemblance entre l’écriture de Dreyfus et celle d’Esterhazy, et qu’ils voulaient en abuser. Aussi l’État-Major avait-il songé d’abord, évidemment, à cette explication dont le commandant Pauffin se fait, auprès de M. Rochefort, l’écho attardé.

Pourquoi donc l’État-Major et Esterhazy lui-même ont-ils renoncé à cette explication moins dangereuse ?