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vient à aucun degré, le colonel Picquart ait été mis sur la trace de la vérité.

Mais la famille Dreyfus, convaincue de l’innocence du capitaine, cherchait de son côté. Elle allait entreprendre une campagne de réhabilitation. La première et courageuse brochure de Bernard Lazare, qui allait paraître en novembre 1896, était en préparation.

Une sourde agitation commençait ; et le colonel Picquart suppliait l’État-Major de ne pas se laisser devancer, de ne pas se laisser enlever la direction de l’affaire. Puisqu’une erreur judiciaire avait été commise par des officiers, il fallait que ce fût l’armée elle-même qui eût l’initiative et l’honneur de la réparation.

Seul, l’État-Major, ayant des éléments sérieux et des moyens décisifs d’information, pouvait mener à bonne fin l’œuvre de justice, qui s’égarerait au dehors et se perdrait. Voilà le langage que le colonel Picquart tenait à ses chefs.

Le 9 septembre 1896, il écrivait au général Gonse :

Mon Général

J’ai lu attentivement votre lettre et je suivrai scrupuleusement vos instructions. Mais je crois devoir vous dire ceci : De nombreux indices et un fait grave dont je vous parlerai à votre retour me montre que le moment est proche où des gens qui ont la conviction qu’on s’est trompé à leur égard vont tout tenter et faire un gros scandale.

Je crois avoir fait le nécessaire pour que l’initiative vienne de nous.

Si l’on perd trop de temps, l’initiative viendra d’ailleurs, ce qui, abstraction faite de considérations plus élevées, ne nous donnera pas le beau rôle.

Je dois ajouter que ces gens-là ne me paraissent pas informés comme nous le sommes et que leur tentative me paraît devoir aboutir à un gros gâchis, un scandale ; un gros bruit qui n’amènera pourtant pas la clarté : Ce sera une crise fâcheuse inutile et qu’on pourrait éviter en faisant justice à temps.

Veuillez, etc.

Picquart.