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dupes eux-mêmes de cet entrainement ? Y eut-il de leur part complaisance fiévreuse au préjugé général ? Ou bien est-ce de parti pris, en pleine conscience, qu’ils frappèrent l’innocent ? Nous ne le saurons avec certitude que lorsque l’enquête aura été poussée à fond : il nous est impossible encore de savoir quelle fut la part de l’entraînement à demi volontaire, quelle fut la part du calcul scélérat.

Mais ce qui est sûr dès maintenant c’est que, dans les bureaux de la guerre, les cœurs et les cerveaux étaient prêts dès longtemps pour la condamnation du juif. Et voilà sans doute la cause maîtresse d’erreur.

Mais elle ne suffisait pas. Il y a fallu encore l’ambitieuse sottise d’un ministre médiocre et infatué. Le général Mercier, d’abord hésitant, fut peu à peu entraîné par un système combiné de flatteries et de menaces.

Ce pauvre esprit présomptueux, qui prétendait « de son seul flair d’artilleur » résoudre sans étude les problèmes techniques les plus ardus, avait été grisé à la Chambre par les applaudissements qui suivaient sa banale parole. Il crut qu’il pouvait, par l’affaire Dreyfus, jouer un grand rôle : Mater les juifs, sauver la France des menées de trahison, conquérir les bonnes grâces de l’Église et l’appui de Rochefort, c’était bâtir à nouveau, sur une