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Mais non ! Il fallait aboutir et aboutir vite. Les bureaux de la guerre s’étaient engagés à fond contre le juif Dreyfus, dont la seule présence à l’État-Major menaçait le monopole militaire de la rue des Postes : l’État-Major avait forcé la main au ministre hésitant, en communiquant, malgré lui, aux journaux antisémites, le nom et la religion de l’officier prévenu : la bonne presse de démagogie cléricale hurlait ou grondait, attendant sa proie. On avait bien le temps de raffiner et d’étudier ! Mettre en cause Mathieu Dreyfus avec Alfred, pour le même bordereau, c’eût été avouer au public qu’il y avait, dans l’écriture du bordereau, des éléments déconcertants, que l’affaire n’était point simple, que la culpabilité n’était point certaine ! En avant donc ! et ne nous arrêtons pas à ces vétilles !

Et c’est ainsi que l’enquête, conduite par l’extravagant Bertillon, de concert avec le louche du Paty, a abouti à accabler Dreyfus sans autre charge qu’un morceau d’écriture qui, de l’aveu même de Bertillon, de l’acte d’accusation, ne ressemble qu’imparfaitement à l’écriture de Dreyfus. Et l’acte d’accusation, adoptant la méthode insensée de Bertillon, déclare que si la ressemblance n’est pas complète, c’est parce que Dreyfus a déguisé son écriture.

Une fois encore quel est l’innocent qui, avec un pareil système, pourra échapper ?

Mais en regard de toute cette déraison et de tout ce parti pris qu’on me permette une bien simple supposition. En octobre et novembre 1894, quand les bureaux de la guerre s’acharnaient sur Dreyfus sans autre indice que le bordereau, si tout à coup un officier du bureau des renseignements avait appris ce qu’était Esterhazy, s’il avait connu les lettres à Mme de Boulancy, s’il avait apporté aux enquêteurs des spécimens de son écriture, immédiatement, quelle que fut la passion de l’État-