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celle d’Alfred : et vraiment Dreyfus n’avait point besoin de copier son frère pour introduire dans le bordereau des ressemblances à sa propre écriture ; il n’avait qu’à écrire lui-même.

Ou bien, au contraire, l’écriture de Mathieu Dreyfus différait de celle d’Alfred ; et si celui-ci voulait introduire dans le bordereau des traits d’une écriture différente, il n’avait qu’à copier l’écriture de n’importe qui.

Tout valait mieux pour lui que de copier celle de son frère.

Car ceci était dangereux à tous égards. C’était dangereux d’abord pour son frère, qui pouvait ainsi être impliqué dans l’affaire. On pouvait, en effet, supposer, comme l’a insinué M. Bertillon, comme l’a insinué M. du Paty, qu’il savait l’usage auquel Alfred Dreyfus destinait ces lettres et qu’il y avait même introduit à dessein quelques mots utilisables pour le bordereau.

C’était aussi très dangereux pour Dreyfus lui-même, car l’écriture de son frère, si on la retrouvait dans le bordereau, le dénonçait lui-même.

Copier l’écriture de son frère était donc pour Dreyfus la manœuvre la plus inutile et la plus redoutable à la fois, c’est-à-dire la plus absurde.

Et il a fallu, pour la lui prêter, l’imagination égarée de M. Bertillon uniquement occupé à corser son feuilleton scientifique, romanesque et ténébreux.

Il y a fallu aussi le cerveau de faussaire de du Paty de Clam, de l’homme connu aujourd’hui comme l’esprit le plus trouble et l’intrigant le plus misérable.

On sait à présent, malgré la complaisance des juges, que du Paty de Clam emploie de préférence, dans le crime, les moyens compliqués et tortueux, et il était tout naturel qu’il supposât que le bordereau avait été fabriqué de même,

Dans ce bordereau où Bertillon et du Paty de Clam avaient cru voir comme en un miroir magique tant de scènes étranges, Dreyfus décalquant sa propre écriture,