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II

C’est donc entendu. Selon M. du Paty de Clam et selon M. Bertillon, il y a dans le bordereau des parties de l’écriture de Mathieu Dreyfus.

Combien cette hypothèse est intenable et absurde, deux mots suffisent à le montrer. D’abord, comment concilier cette imprudence d’Alfred Dreyfus gardant dans son buvard, six mois encore après la confection du bordereau, des pièces qui peuvent le compromettre, avec ce que dit l’acte d’accusation ?

On y lit ceci :

Au moment de son arrestation, le 15 octobre dernier, lorsqu’on le fouilla, il dit : « Prenez mes clefs, ouvrez tout chez moi ; vous ne trouverez rien. » La perquisition qui a été pratiquée à son domicile a amené à peu près le résultat indiqué par lui. Mais il est permis de penser que si aucune lettre même de famille, sauf celles des fiançailles adressées à madame Dreyfus, aucune note, même des fournisseurs, n’ont été trouvées dans cette perquisition, c’est que tout ce qui aurait pu être en quelque façon compromettant avait été caché ou détruit de tout temps.

C’est admirable, et il est clair que ce système d’interprétation fera toujours un coupable d’un innocent.

De même qu’on dit : « Si l’écriture du bordereau ne ressemble pas tout à fait à la sienne, c’est qu’il l’a déguisée volontairement ; » on dit : « Si après une arrestation soudaine, on n’a trouvé chez lui aucun papier compromettant, c’est que de tout temps il faisait tout disparaître. »

Oui, quelle est l’innocence qui résistera à ces partis pris de raisonnement ?

Mais en tout cas, que M. Bertillon explique comment cet homme, qui détruit si soigneusement tout ce qui peut, même à un faible degré, le compromettre, conserve justement, six mois encore après la confection du bordereau,