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de cet officier est certaine et qu’il a eu des complices civils », il faisait allusion au concours que Mathieu Dreyfus aurait prêté à son frère pour la confection du bordereau.

Cette suggestion ne lui venait pas seulement de M. du Paty, elle lui venait de M. Bertillon. L’opinion de celui-ci n’est pas douteuse. Quand le colonel Picquart lui montra les lettres d’Esterhazy, il s’écria : « C’est l’écriture du bordereau… ou celle de Mathieu Dreyfus. »

Il assimilait donc l’une à l’autre.

D’ailleurs, il résulte de sa déposition même qu’il s’est servi, pour démontrer la culpabilité d’Alfred Dreyfus, de deux ou trois lettres de Mathieu Dreyfus saisies dans le buvard d’Alfred à son domicile.

Ces lettres, par leur contenu, n’avaient aucun rapport, même lointain, avec une affaire de trahison ou avec la défense nationale. Elles étaient sur des sujets indifférent, une entre autres sur un fusil de chasse.

Immédiatement, M. Bertillon ramène ces lettres au bordereau : il les fait entrer dans le plan de fabrication extrêmement complexe qu’il prête à l’accusé, et il affirme que celui-ci a utilisé, par décalque, certains mots, certaines lettres de Mathieu Dreyfus pour déguiser en partie sa propre écriture.

Ainsi il ne suffit pas à Alfred Dreyfus, selon M. Bertillon, d’avoir laissé subsister exprès entre son écriture et celle du bordereau, certaines ressemblances ; il ne lui suffit pas d’avoir Juxtaposé aux mots courants de sa propre écriture des mots de sa propre écriture décalqués par lui même ; il ne lui suffit pas d’avoir glissé dans cette mixture certaines lettres certaines formes graphiques, comme les doubles SS, qui ne sont ni dans sa propre écriture, ni dans celle de son frère : il faut encore qu’il utilise certains éléments de l’écriture de son frère et qu’il jette ce suprême ingrédient dans le bordereau, véritable chaudière de Macbeth où l’imagination de M. Bertillon, sorcière incomparable, mêle, broie, dénature les éléments.