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ans, est le produit d’une fabrication tout à fait compliquée, s’il est fait de l’écriture naturelle et directe d’Alfred Dreyfus, de l’écriture de Dreyfus décalquée par lui-même, d’altérations volontaires introduites par Dreyfus et, en outre, comme je l’ai dit aussi, de certains mots de l’écriture du frère, Mathieu Dreyfus, décalquée par Alfred, si le bordereau est vraiment, comme je l’ai affirmé aux juges, une macédoine d’écritures aussi extraordinairement composée, par quelle rencontre merveilleuse, par quel miracle sans précédent sous les cieux, l’écriture spontanée, naturelle, d’un autre officier ressemble-t-elle, trait pour trait, lettre pour lettre, point par point, au produit artificiel, à l’étonnante mixture que j’avais cru démêler ? »

Non ! pas une minute, cette question n’effleure l’esprit de M. Bertillon. Il a son système, cela le dispense de toute raison. Et contre ce système la vérité, l’évidence se brisent.


II

J’ai assisté à la déposition de M. Bertillon devant la cour d’assises : comme ces spirites qui vous parlent avec assurance de leurs révélations, mais qui ne sont pas pressés de vous faire assister aux expériences décisives, M. Bertillon affirmait devant la cour et devant la postérité, l’excellence de son système, mais il hésitait à l’analyser devant nous ; il ne laissait échapper que des bribes.

Et pendant qu’il parlait, pendant que la défense lui arrachait, lambeau par lambeau, l’aveu de son rêve extravagant la défense triomphait.

Et chose curieuse : les officiers des bureaux de la guerre, qui étaient là, commandants et généraux, par leurs ricanements, par leurs haussements d’épaules, affectaient de se désintéresser de Bertillon. Qu’y avait-il de commun entre ce délire et eux ?