Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

savoir votre opinion. ― J’ai regardé cette écriture et je lui ai dit : Cela ressemble singulièrement à l’écriture du bordereau...

Le colonel Picquart lui laissa la lettre d’Esterhazy pour l’étudier à loisir, et M. Bertillon ajoute :

Je fis ce que me demandait le colonel Picquart : je fis photographier le document, et, ma foi, je vous dirai que je ne m’en suis pas occupé plus longuement. J’avais une écriture qui ressemblait à celle du bordereau. Or, j’ai fait la démonstration absolue que le bordereau ne peut pas être d’une autre personne que le condamné. Qu’est-ce que cela me fait qu’il y ait d’autres écritures semblables à celle-là ? Il y aurait cent officiers au ministère de la guerre qui auraient cette écriture, cela me serait absolument égal car pour moi la démonstration est faite.

Ainsi, voilà un homme auquel il y a deux ans on a soumis un bordereau non signé. Ce bordereau offrait avec l’écriture de Dreyfus quelques ressemblances, mais aussi, bien des différences. Néanmoins, en vertu d’un système tout psychologique, c’est-à-dire arbitraire et incertain, sinon absurde, il conclut que le bordereau doit être attribué à Dreyfus.

Deux ans après, on lui présente un autre morceau d’écriture, une lettre d’Esterhazy. Cette fois, ce ne sont plus des ressemblances incomplètes, partielles, incertaines : c’est l’identité absolue, c’est la ressemblance foudroyante dans le détail comme dans l’ensemble, trait pour trait.

Cette identité, M. Bertillon lui-même en est saisi, mais il dit : « Qu’est-ce que cela me fait, puisqu’il y a deux ans j’ai fait ma démonstration ? »

Comme un inventeur maniaque qui n’accepte pas le démenti brutal de l’expérience, M. Bertillon maintient contre l’évidence le système incohérent sous lequel il a accablé Dreyfus. Et il ne lui vient pas une minute la pensée de se demander :

« Mais si le bordereau, comme je l’ai cru il y a deux