Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

sédentaire ou à un service d'arrière. La France a trop de réservistes ; elle a trop de citoyens capables de la défendre ; elle ne saurait qu'en faire ; elle en serait pirs encombrée que protégée.

C'est ce que dit, en substance, M. Messimy, qui croit pourtant être l'interprète de la nation armée et qui formule à son insu, avec une effrayante tranquillité, la plus dangereuse et la plus détestable conséquence de notre système militaire.

Nous croyons également, dit-il, qu'on apporterait un allègement sérieux aux charges des citoyens français en hâtant le moment où ils sont débarrassés de toutes leurs périodes et en réduisant, dans ce but, de onze à neuf ans le séjour dans la réserve. Onze classes donneraient, au moment d'une mobilisation, un effectif de réservistes trop considérable.

Voilà où conduit l'étroite conception présente de la défense nationale et de l'organisation militaire. C'est parce que les esprits mêmes qui se croient les plus novateurs sont obsédés par le souvenir de l'ancienne armée, c'est parce que l'armée de caserne est pour eux, inconsciemment la véritable armée, la seule ; c'est parce que les réserves n'ont pour eux quelque valeur que si elles sont solidement encadrées par une forte proportion de soldats de l'active ; c'est pour cela qu'ils retirent à la France le bénéfice de la force immense et accablante que lui donnerait la pleine utilisation de ses réserves, la mobilisation de toutes ses forces, débordant sur l'ennemi avec toute la puissance d'un océan soulevé, mais d'un océan qui obéirait à des règles et dont l'énorme flot accepterait une discipline. Ce qui est saisissant et caractéristique, c'est que la plupart des hommes qui acceptent cet appauvrissement, cette mutilation des forces défensives de la France s'imaginent qu'ils font aux réserves une grande place, la plus grande. Ils vont jusqu'à dire, avec M. le général Langlois, que la prédominance des réserves est le trait essentiel par où le système français s'oppose au système allemand. Le sacrifice partiel qu'ils ont fait de leurs vieux préjugés