Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au point de vue de l’éducation militaire ? C’est simplement un leurre.


C’est M. le général Langlois lui-même qui souligne ces mots si graves. D’où il suit que M. le général Langlois demanderait volontiers que les hommes fassent un an de service de plus, uniquement pour disposer de quinze jours de plus de manœuvres vraiment efficaces.

Mais quel gaspillage insensé de temps et de forces ! D’où il suit encore qu’aujourd’hui, de l’aveu même du général Langlois, dans l’énorme masse de temps gâché au service de caserne, il n’y a que deux périodes vraiment utiles : les trois premiers mois employés à l’éducation individuelle des recrues et à l’apprentissage de l’ordre serré, puis, après une longue et fastidieuse morte-saison, les quinze jours qui peuvent être affectés en automne à de vifs exercices en terrain varié.

L’aveu est redoutable : perte de temps énorme pour les soldats ; insuffisance d’éducation vraie et pour les soldats et pour les officiers. Ceux-ci ne peuvent réellement pas faire l’apprentissage de tout ce qui peut, en temps de paix, être appris à la guerre. Ils ne peuvent pas apprendre à diriger une attaque ou à ménager une retraite selon le terrain, selon la position présumée de l’ennemi. Ils ne peuvent pas habituer leurs hommes ou à ces élans impétueux qui peuvent parfois déconcerter l’adversaire et abréger le rayon d’action de la mort, ou à ces dispersions en lignes flottantes de tirailleurs, à ces alternances irrégulières d’audace bondissante et de prudence prosternée, à toute cette rouerie vaillante qui ruse avec ces forces de destruction. Ils n’apprennent pas vraiment leur métier de chef, et ce vice de régime se traduira, au jour des conflits, par l’inutile sacrifice de milliers et de milliers d’hommes jetés à la mort imbécile par l’ineptie d’un système de routine et de mécanique.

Il faut ajouter que presque jamais, dans le système d’aujourd’hui, les officiers n’ont en mains l’unité tactique qu’ils auront à manier en temps de guerre. Jamais ils ne