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flamber les âmes ? Ce ne sera pas la foi religieuse, car le général Langlois en parle comme d'une force du passé. et il sait bien que la croyance chrétienne, si tendre et sublime qu'elle soit, est trop combattue dans l'esprit de notre peuple par le rationalisme et par la critique pour être, aux temps difficiles, l'inspiratrice de la vie nationale.

Ce ne sera pas comme au temps de la Révolution l'enthousiasme de la liberté politique et l'orgueil de la communiquer au monde en la défendant contre lui car elle est pour nous une chose acquise, et l'expérience nous a appris qu'à la propager au dehors par les armes, on la compromet plus qu'on ne la sert. Ce n'est pas non plus, j'imagine, un rêve de primauté et de domination, hérité par nous de Louis XIV, ou des ivresses troubles de la Révolution, ou de la grande aventure napoléonienne, car ce rêve, qui fut monstrueux, serait par surcroît imbécile. La France sera-t-elle donc exaltée et enfiévrée par le dessein, par l'espérance de retrouver les provinces perdues ?

Grande tentation à coup sûr et grand objet, mais qui ne suffirait pas à légitimer et à idéaliser la guerre au point de solliciter, l'énergie française à cet effort moral qui contient seul la promesse de la victoire ; car les années qui, depuis la défaite, se sont accumulées sur le problème l'ont sensiblement surchargé et compliqué ; car il y aurait dans la réparation de la violence encore une part de violence ; car la guerre de revanche et de restitution, même victorieuse, ne fermerait pas l'ère des conflits sanglants et des attentats alternés qui, depuis des siècles, affligent la France et l'Allemagne ; car il serait impossible de rêver pour la victoire entrevue le couronnement sublime de la paix, et ainsi une part de trouble et de doute secrètement mêlée à l'effort de la France, le réduirait à des effets incertains. D'ailleurs, quand on compte pour la victoire sur la prodigieuse détente d'un ressort moral, il faut le fortifier et le tendre. Mais où est l'éducation, où est l'entraînement vers la guerre de revanche ? Prudence ou dignité, il est des silences trop longs qui finissent par endormir