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« La République sera conservatrice, ou elle ne sera pas (sensation) »

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« Qu’on ne se fasse pas d’illusions ! On peut croire que, grâce au suffrage universel, et appuyé ainsi sur la puissance du nombre, on pourrait établir une République qui serait celle d’un parti ! ce serait là une œuvre d’un jour.

« Le nombre lui-même a besoin de repos, de sécurité, de travail. Il peut vivre d’agitations quelques jours, il n’en vit pas longtemps. Après avoir fait peur aux autres, il prend peur de lui-même ; il se jette dans les bras d’un maître d’aventure et paye de vingt ans d’esclavage quelques jours d’une désastreuse licence ! »

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« Nous touchons, Messieurs, à un moment décisif. La forme de cette République n’a été qu’une forme de circonstance, donnée par les événements reposant sur votre sagesse et sur votre union avec le pouvoir que vous aviez temporairement choisi ; mais tous les esprits vous attendent, tous se demandent quel jour… (Murmures à droite), quelle forme vous choisirez pour donner à la République cette force conservatrice dont elle ne peut se passer…

« M. de la Rochefoucauld, duc de Bisaccia. — Mais nous n’en voulons pas !

« M. le vicomte de Lorgeril. — Et le pacte de Bordeaux !

« M. le Président de la République. — C’est à vous de choisir l’un et l’autre. Le pays en vous donnant ses pouvoirs, vous a donné la mission évidente de le sauver en lui procurant la paix d’abord ; après la paix, l’ordre ; avec l’ordre le rétablissement de sa puissance, et enfin un gouvernement régulier. Vous l’avez proclamé ainsi, et dès lors c’est à vous de fixer la succession, l’heure de ces diverses parties de l’œuvre de salut qui vous est confiée. »

La fin de la lecture de ce document déchaîna une véritable tempête. Il était précis sur un seul point, la nécessité de maintenir la République comme forme de gouvernement, ce qui exaspérait les Droites, car c’était là une pierre d’achoppement pour toutes leurs intrigues en vue d’une restauration ; mais sur d’autres points. quelles concessions au parti de la conservation sociale et quelle véritable monarchie sous l’étiquette républicaine ! C’était bien l’ancien ministre de la monarchie de Juillet qui venait d’exposer ses vues non modifiées en matière politique et sociale ! Puis, ne venait-il pas, contrairement au vœu manifeste de l’opinion, de reconnaître à l’Assemblée le caractère de Constituante ?

Ce fut l’occasion d’une manœuvre à la fois dirigée contre le parti républicain et M. Thiers ; mais conduite par M. de Kerdrel et M. Batbie, le mémorable « éléphant de combat », appuyée par MM. Ernoul et Lucien Brun, elle échoua. Ses protagonistes devaient réussir à prendre une revanche en forçant à se retirer M. Victor Lefranc, ministre de l’Intérieur, et M. Thiers à reconstituer un cabinet où entrèrent MM. de Goulard, de Fourtou et Léon Say ; cette fois les bonapartistes et les royalistes avaient manœuvré de concert et marché la main