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Cet exode peut être jugé en se plaçant à des points différents. Tandis que chez certains il excitait admiration et pitié, était considéré comme un acte de piété patriotique, pour d’autres — minorité infime il est vrai — il fut considéré comme une grave erreur, comme une très lourde faute. Était-il bon d’abandonner les deux provinces et d’y laisser la place plus large pour l’immigration allemande ? Comment s’y entretiendraient le souvenir, le culte de la patrie, quand les plus ardents patriotes s’en seraient éloignés, la plupart sans esprit de retour ? Ces derniers évoquaient le souvenir des conspirations ourdies, des luttes incessantes contre l’Autriche, en Lombardie, en Vénétie, conspirations, luttes qui avaient constamment tenu en éveil la revendication italienne contre l’occupant ; qui avaient été un facteur considérable dans le réveil de l’Italie, dans le mouvement dont la conclusion avait été la collaboration de la France et du Piémont en 1859 et était dû en grande partie à ce fait que les conquis, loin de quitter leurs foyers, y étaient restés pour faire nombre et rendre plus intenses, plus solennelles, leurs incessantes protestations.

La situation au point de vue extérieur n’était pas sans préoccuper, car des négociations se poursuivaient actives entre l’Allemagne. l’Italie, la Russie et l’Autriche et tout le monde sentait bien que les combinaisons élaborées étaient toutes dirigées contre la France encore occupée par les armées du vainqueur. Cependant l’heure de la libération définitive se rapprochait, le succès du dernier emprunt allait la hâter.

L’enthousiasme qui avait partout accueilli la campagne dissolutionniste de Gambetta. les ovations faites à M. Thiers soulignées par les cris de « vive la République ! » n’avaient pas peu contribué à exaspérer les conservateurs ; tous ces « ruraux », comme les avait si justement qualifiés Gaston Crémieux, revenaient la rage au cœur, déçus dans leurs espoirs après avoir été fréquemment mal accueillis par leurs électeurs.

Ce fut devant une Assemblée chargée d’orages, fiévreuse, que, le 13 novembre, M. Thiers, donna lecture de son Message, à diverses reprises interrompu par des approbations marquées des Gauches, par des exclamations, des protestations ou des murmures significatifs de la Droite, car s’il insista sur son caractère conservateur nécessaire, il n’en affirma pas moins qu’il fallait maintenir au gouvernement la forme républicaine.

« La République existe, déclarait M. Thiers. elle est le gouvernement légal du pays ; vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas de temps à la proclamer ; mais employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une Commission nommée par vous, il y a quelques mois, lui donnait le titre de République conservatrice. Emparons-nous de ce titre, et tâchons surtout qu’il soit mérité (Très bien ! Très bien !)

« Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point. (Assentiment général)