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toutefois reconnaître que Gambetta fut, en cette période troublée, l’âme du mouvement contre la réaction et que de chacun de ses discours se détacha, en formules brèves, les mots d’ordres du camp de la démocratie républicaine en constante veillée d’armes. C’est au cours de cette campagne qui eut un retentissement considérable sur tous les points de France, qu’il prononça, à Saint-Julien, le 20 octobre, un discours sur les menées du parti clérical dont les agitations et les moyens d’action si nombreux, si variés et si sournois, étaient inquiétants :

« Il n’y a plus à parler, s’écriait-il, des partis monarchiques. Il reste un parti que vous connaissez bien, un parti qui est l’ennemi de toute indépendance, de toute lumière et de toute stabilité, car ce parti est l’ennemi déclaré de tout ce qu’il y a de sain, de tout ce qu’il y a de bienfaisant dans l’organisation des sociétés modernes. Cet ennemi, vous l’avez nommé, c’est le cléricalisme ! »

Et dans le pays de Voltaire, de Diderot, dans le pays d’étiquette catholique où le « curé » n’est pas aimé, est en suspicion légitime, ces paroles avaient un écho profond ; mais il n’y avait là que des paroles de circonstance. Quand la République aura échappé à tous les pièges monarchistes ou bonapartistes, quand, consacrée par des votes populaires qui peuvent être considérés comme de véritables plébiscites, elle sera solidement assise, Gambetta interrompra la lutte contre le cléricalisme ; il trouvera inopportune toute tentative de séparation de l’église et de l’État ; il parlera d’un « clergé national » et déclarera que le « cléricalisme n’est pas un article d’exportation ! »

De son côté, M. Thiers avait quitté Versailles pour assister à Trouville à des expériences d’artillerie ; il avait visité le Havre ; partout il avait été accueilli par les cris de : « Vive la République ! » bien faits pour lui indiquer la voie à suivre, car ils manifestaient les sentiments de la majorité du pays inquiète et lasse des mesquines, turbulentes agitations des Droites de l’Assemblée et de leur évidente impuissance.

La masse ouvrière, malgré la reprise des affaires qui lui assurait du travail mais n’améliorait pas ses salaires, n’allégeait pas ses peines, ne faisait pas disparaître ses incertitudes, commençait à se « chercher » ; un mouvement purement professionnel s’esquissait parmi diverses corporations et, dans le Nord industrialisé plus que toute autre région, où la féodalité financière et industrielle est le plus puissante, les exigences patronales avaient provoqué des grèves qui furent énergiquement réprimées.

Enfin, ce fut durant cette intersession que commença l’organisation définitive, en pays d’Empire, de l’Alsace et de la Lorraine et que, à dater du 1er octobre, les options pour la nationalité française furent closes, que furent déclarés déchus du bénéfice de l’option tous les Alsaciens-Lorrains qui se trouveraient sur le territoire annexé. Ce fut un grand mouvement d’immigration qui se manifesta. Par milliers, des Alsaciens et des Lorrains franchirent la frontière ; ce mouvement fut encouragé par l’opinion.