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encore en France — tous les socialistes proprement dits étaient d’accord pour proclamer que le prolétariat devait se constituer en un parti distinct, en un parti de classe, afin de poursuivre la conquête du pouvoir politique et par là la conquête de la puissance économique, c’est-à-dire du capital et de tous les moyens de production transformés en propriété sociale. La constitution de ce parti, les uns la voyaient dans une organisation très forte, soumise à une méthode rigoureuse, à une discipline forte, unitaire ; les autres ne la concevaient que dans la fédération librement consentie de toutes les forces socialistes et ouvrières, adoptant une ligne de conduite commune pour les efforts d’ensemble, mais laissant à chaque groupement une suffisante et nécessaire autonomie pour propager et agir suivant les circonstances et les milieux. L’ensemble du parti s’affirmait républicain et déclarait qu’un des premiers efforts devait tendre à l’établissement de la République, seule forme de gouvernement contraint de concéder une certaine part de liberté. La majorité était anti-autoritaire, décentralisatrice ; si elle était attachée au principe d’égalité politique et économique, elle avait un égal culte pour le principe de liberté, aussi peut-on dire que, après le Congrès de La Haye, si la majorité des socialistes français se prononça contre le Conseil général de l’Internationale, elle ne devint pas pour cela anarchiste. Il n’en devait pas moins subsister un germe de discussions et de divisions entre socialistes centralisateurs et fédéralistes, tous restant révolutionnaires.

Toute modeste, chétive que put être la renaissance peu coordonnée du Parti socialiste, elle n’en fut pas moins un sujet d’inquiétudes pour la bourgeoisie de droite, du centre et la fraction de gauche soutenant la politique de M. Thiers. Il n’en fallut pas davantage pour mettre en branle l’action judiciaire armée de la loi contre l’Internationale. En 1873, de nombreux procès, précédés de nombreuses perquisitions et arrestations, eurent lieu à Toulouse, Paris, Lyon, Narbonne, Agen, Grenoble, et les tribunaux se montrèrent fort rigoureux. De la bouche des procureurs de la République tombèrent des réquisitoires que n’eussent pas désavoués les procureurs impériaux. À Paris et à Toulouse, on put même constater jusqu’à l’évidence que parmi les agents les plus actifs figuraient d’ignobles policiers, véritables provocateurs. À Toulouse, le misérable qui avait formé une section très nombreuse, très forte, après avoir capté la confiance du Conseil général ; qui l’avait représentée au Congrès de La Haye, était un agent du gouvernement. Condamné pour la forme, il accomplit sa peine dans une mission de police à Bordeaux.

Mais les progrès du Parti socialiste devaient être entravés par les événements politiques très graves qui se produisaient et aboutissaient à une série de crises dangereuses pour la République.