Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tariat au rang de classe dominante, c’est-à-dire la réalisation de la démocratie. Après avoir conquis le pouvoir politique, le prolétariat s’en servira pour arracher peu à peu le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat constitué en classe dominante et pour effectuer rapidement la concentration des forces productrices.

Mais à cette action « autoritaire » du prolétariat nécessitée et justifiée par la série d’efforts à accomplir pour l’œuvre d’émancipation et d’organisation succédait, dans le Manifeste, une vue très nette sur les suites logiques de la victoire et de l’organisation :

« Quand, au cours de l’évolution graduelle auront disparu les différences de classe, toute la production restant concentrée aux mains des individus associés, le pouvoir public perdra son caractère politique, puisque le pouvoir politique n’est autre que la force organisée d’une classe pour l’oppression d’une autre. Quand le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue fortement comme classe et, au moyen de la révolution se fait classe dominante pour, comme telle, abolir, par la force, les conditions anciennes de la production, avec ces conditions de production il supprime les raisons d’être de la différence de classe, les classes elles-mêmes et, par suite, sa propre domination comme classe.

« À la place de la vieille société bourgeoise, avec ses classes, s’établira une association dans laquelle le libre développement de chaque individu, sera la condition du libre développement de tous. »

Les idées anarchistes qui n’avaient pas pris l’acuité dangereuse qu’elles devaient acquérir quelques années plus tard, étaient pour séduire bien des esprits, bien des tempéraments indépendants et impatients, lassés de la politique pratiquée par les politiciens ; elles eurent grand succès parmi les socialistes de race latine et attirèrent d’enthousiastes adhérents en France, en Italie, en Espagne ; il faut le dire aussi, en Belgique, en Hollande, en Suisse où s’exerçait plus directement l’action de ses propagandistes ; elles firent des recrues parmi les socialistes russes et américains.

En France, cependant, il était difficile d’entraîner le monde ouvrier hors de l’action politique, de l’action électorale, le suffrage universel ayant été conquis par le peuple, de haute lutte, à la suite de la Révolution de février et étant sa seule conquête effective. Si l’Assemblée nationale recula devant le vote de nouvelles lois de Mai, devant une tentative de mutilation du suffrage universel, ce fut simplement par crainte d’un soulèvement qui eût entraîné la majorité du pays. Mais les idées de large autonomie, de liberté individuelle poussées jusqu’aux extrêmes limites de la théorie étaient pour attirer l’élément le plus actif de la masse ouvrière et, dans le parti qui lentement se reformait, elles allaient avoir une grande influence, occasionner bien des luttes, bien des dissensions.

Dans son ensemble — le parti anarchiste n’existant pour ainsi dire pas