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de la classe possédante, il faut qu’à son tour le prolétariat conquière l’État. C’est une lutte de classe contre classe qu’il importe d’entreprendre et de conduire méthodiquement, sans interruption.

Aussi bien une forte organisation sera-t-elle indispensable au prolétariat, même au lendemain de sa victoire, pour n’en pas compromettre les résultats et donner à la société nouvelle une constitution assurant son fonctionnement régulier.

Sur le principe même de la transformation du régime propriétaire, de la substitution de la propriété sociale, collective, à la propriété individuelle, capitaliste, les anarchistes étaient d’accord avec les marxistes ; mais ils différaient profondément sur la question de l’État et sur la tactique. La pensée qui les dominait et les domine, c’est de donner à l’être humain la liberté sans limites ; de lui assurer son développement le plus absolu tant au point de vue matériel qu’au point de vue intellectuel et moral, sans l’enserrer dans une organisation, même la plus rudimentaire. Pas d’autorité, sous quelque forme que ce puisse être, tel est leur idéal d’une société émancipée. À ce principe, il faut accoutumer le prolétariat, l’humanité entière, en démontrant quotidiennement quelles oppressions, quelles misères engendre l’autorité. Le prolétariat doit marcher à la conquête de sa liberté par la lutte révolutionnaire, mais en se tenant à l’écart de la politique et avec la ferme intention de détruire l’État, ses différents organes : cette abstention de la politique doit se manifester, tout d’abord, sur le terrain électoral.

Au Congrès de Bâle (1869), Bakounine défendant le collectivisme avait dit : « Je vote pour la propriété collective, en particulier de la terre et, en général, de toute la richesse sociale, au moyen de la liquidation sociale.

« J’entends par liquidation sociale l’expropriation en droit de tous les propriétaires actuels, par l’abolition de l’État politique et juridique, qui est la sanction et l’unique garantie de la propriété individuelle actuelle et de tout ce qui s’appelle le droit juridique ; et l’expropriation de fait de tout ce qui sera possible, par la force même des événements et des choses.

« En ce qui concerne l’organisation future, considérant que tout travail productif est avant tout un travail social, nécessairement collectif et que le travail, qu’improprement on nomme individuel, est aussi un travail collectif, parce qu’il n’est possible que grâce au travail collectif des générations passées et présentes :

« Je reste pour la solidarisation des collectivités ouvrières ; je suis un adversaire résolu de l’État et de toute politique bourgeoise ; je veux la destruction de tous les États nationaux et territoriaux et sur leurs ruines l’établissement du Collectivisme, qui doit être implanté sur la terre par l’Association internationale des travailleurs. »

Sur le suffrage universel il s’était ainsi prononcé dans sa brochure l’Empire Knouto-Germanique : « Le suffrage universel, alors qu’il est pratiqué dans une