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de production et d’échange se trouvait en partie réalisée dans le domaine de l’industrie, du commerce et donnait naissance à une nouvelle féodalité autrement puissante que celle atteinte si gravement en France par les révolutions de 1789 et 1792.

Comme divergences, la tactique à employer, la forme à donner à la future organisation sociale. Elles s’étaient manifestées déjà, sous l’Empire, dans le sein de l’Internationale ; elles devaient s’exaspérer au point de provoquer une grave, irrémédiable scission, au Congrès de La Haye (1872), entre partisans de Karl Marx et de Bakounine. Cette scission allait être funeste à l’Association internationale des travailleurs, plus funeste, plus dangereuse que la loi votée par l’Assemblée de Versailles, car l’armée socialiste se partageait en deux camps violemment hostiles, dont les démêlés troublaient profondément le prolétariat des deux mondes. Cette hostilité est loin d’être apaisée. Il ne nous est pas matériellement possible de retracer, dans ses détails multiples, souvent passionnants, la lutte entre ceux que l’on appelait les autoritaires, les étatistes, groupés autour de Marx et du Conseil général de l’Internationale jusqu’en 1872 siégeant à Londres, après le Congrès de La Haye transféré aux États-Unis, et les collectivistes-anarchistes groupés autour de Bakounine ; il n’est cependant pas inutile d’en indiquer, sommairement, les points essentiels, car ils auront une répercussion par moments très vive, très déterminante, sur l’évolution du socialisme international, plus particulièrement sur l’évolution du socialisme français, même dès les premières années de sa réorganisation, alors que l’union, la convergence de tous les efforts des militants paraissaient si nécessaires.

Les principes généraux qui, au Congrès de La Haye, affirmèrent le programme des partisans de Karl Marx et qui avaient été énoncés très clairement déjà dans le Manifeste du Parti Communiste, tracé avec la collaboration de Frédéric Engels et lancé en 1848, proclamaient la nécessité de substituer à la propriété individuelle la propriété sociale, commune, par l’expropriation de la classe capitaliste détentrice de tous les moyens de production. Dans cette transformation d’un régime propriétaire source de toutes les oppressions, de toutes les misères morales et matérielles, le prolétariat devait trouver son émancipation et là seulement. Il devait donc s’organiser comme classe pour préparer, engager et terminer par une victoire la lutte fatale. La classe possédante, pour maintenir ses privilèges économiques, occupe le pouvoir politique qui met à sa disposition tous les moyens de défense ; il importe, que tout en s’organisant pour une fin économique, sociale, le prolétariat s’organise en vue de conquérir, pacifiquement ou violemment, suivant les circonstances, le pouvoir politique qui mettra à sa disposition tous les éléments nécessaires à la révolution économique, c’est-à-dire à l’expropriation de la classe possédante et à l’organisation d’une propriété commune. Il faut s’organiser fortement, conduire la lutte avec une discipline sérieuse, sous peine de se préparer à des avortements, à des échecs. En un mot, l’État étant la citadelle