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n’allait pas sans danger — contre l’annexion brutale de l’Alsace et de la Lorraine ? Maintenant qu’une ère de prospérité économique s’ouvrait, n’allaient-ils pas pouvoir — ils n’y manquèrent pas — démontrer, irrésistible leçon de choses, que cette prospérité ne profiterait qu’aux détenteurs de capitaux, d’outillage, de matières premières, tandis que la masse ouvrière et petite bourgeoise resterait vouée aux pires conditions du salariat, de la concurrence ; aux mêmes misères, aux mêmes incertitudes : armée qui supporte tous les chocs sur les champs de bataille et sur le terrain des luttes économiques.

Le mouvement révolutionnaire du 18 Mars, malgré les erreurs commises, malgré la terrible défaite, avait produit une impression profonde parmi les masses populaires de l’autre côté du Rhin, que ne pouvaient manquer de frapper des faits caractéristiques tels que le renvoi des prisonniers de guerre au gouvernement de M. Thiers pour entreprendre un second siège de Paris ; la coopération des armées allemandes à ce second investissement de la capitale.

Que se produisait-il donc de si prodigieux, de si nouveau, pour qu’une telle collaboration pût se produire contre le Paris qui, avec un héroïsme qui avait frappé d’admiration l’Europe, venait de supporter un long et pénible siège ? La vérité se faisait peu à peu jour et projetait une vive lumière sur la conscience du prolétariat allemand, du prolétariat universel : c’était la partie laborieuse, consciente de la capitale qui s’était soulevée pour protester contre la capitulation, pour défendre la République menacée, pour affirmer hautement les droits du travail et proclamer la nécessité de son émancipation politique et sociale. On commençait à le comprendre, malgré les calomnies, les mensonges de la presse ; cette vérité était d’autant plus frappante que la démocratie socialiste allemande avait déjà une solide organisation, qu’elle comptait de nombreux adhérents et avait des représentants dans les assemblées parlementaires ; — la voix de certains d’entre eux avait fait entendre de graves avertissements aux maîtres du grand Empire nouvellement restauré.

Le mouvement socialiste se marquait sur tout le continent européen, manifestant déjà une unité de vues remarquable quant aux principes essentiels, malgré des divergences très tranchées relevant surtout de l’organisation de la société future, de la tactique, ces dernières suggérées, fréquemment imposées par les circonstances, les milieux, les traditions nationales ou de race, aussi par les institutions gouvernementales et les organismes administratifs fort variés dans leurs formes et leur fonctionnement.

Comme principe essentiel et dominant, sur lequel l’accord se faisait de plus en plus : la substitution de la propriété sociale, collective ou commune, à la propriété individuelle, source de toutes les oppressions, de toutes les misères matérielles et morales accablant le prolétariat seul producteur de la richesse ; nécessité pour tous les producteurs de se grouper afin d’accomplir cette transformation devant bénéficier à l’ensemble du corps social et pouvant s’entreprendre puisque déjà la concentration de tous les capitaux, de tous les moyens