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résultat que le renvoi du rapport de M. Riant aux divers ministères compétents ; la gauche devait s’abstenir tout entière dans ce vote.

Parallèlement s’instruisait devant le Conseil d’enquête officiellement constitué, le procès de l’armée impériale, de ses grands chefs surtout, car les soldats s’étaient crânement battus sur les champs de bataille, depuis Wissembourg et Forbach jusqu’à Bazeilles et Gravelotte. Les deux capitulations de Sedan et de Metz étaient jugées à leur valeur exacte, c’est-à-dire avec une juste sévérité. L’auteur de la première, Napoléon III, était hors d’atteinte ; le fauteur de la seconde, Bazaine était déféré à un conseil de guerre. Mais il devait, sur un recours en grâce de ses juges et pairs, éviter la peine de mort qui n’avait pas été épargnée aux chefs ou simples soldats de la Révolution du 18 mars !

Des événements significatifs se produisaient au cours de cette session, bien faits pour donner à la réaction le sentiment que, chaque jour davantage, le pays évoluait vers la République ; le 9 juin, le Nord, la Somme, l’Yonne envoyaient trois républicains, Paul Bert, Burin et Deregnaucourt à l’Assemblée et, par l’organe du général Chanzy, le Centre gauche faisait une adhésion officielle à la République. Il y avait de quoi désarçonner tout le clan royaliste ; le désarroi se traduisit d’abord par une tentative en vue d’empêcher cette adhésion, elle avorta, et par une démarche faite auprès de M. Thiers, par une délégation composée de MM. Saint-Marc-Girardin, de Broglie, d’Audiffret-Pasquier, Batbie, Changarnier, etc… Cette démarche avait pour but de convier le chef du pouvoir exécutif à gouverner ouvertement avec les Droites, parmi lesquelles il recruterait le Cabinet ; ce fut un fiasco retentissant ; la délégation sortit de l’hôtel de la Providence navrée, furieuse et couverte de ridicule ; M. John Lemoine, dans le Journal des Débats la baptisa : « manifestation des bonnets poil ». Le ridicule était justifié ; il ne pouvait se digérer et dès lors, c’est une guerre implacable, tantôt masquée, tantôt ouverte qui s’engage contre M. Thiers d’une part, contre l’ensemble du parti républicain de l’autre. M. Thiers devait y succomber un an après ; quant au parti républicain il allait y prendre des forces toujours plus grandes, car son recrutement allait se développer dans le pays avec une grande rapidité.

Mais deux questions d’une importance capitale se présentent : la loi militaire destinée à doter la France d’une armée nombreuse et solide ; les négociations avec l’Allemagne en vue de la complète libération du territoire encore militairement occupé.

La réorganisation de l’armée déjà entreprise ; la reconstitution du matériel de guerre et des approvisionnements déjà en bonne voie n’ont pu passer sans fournir à M. de Bismarck et à la féodalité militaire allemande des occasions de présenter directement ou indirectement des observations, parfois inconvenantes, au gouvernement français ; les préliminaires de discussion de la loi militaire ne font que les rendre plus fréquentes. Il nous est matériellement impossible de les étudier dans leur évolution délicate et complexe. Elles passè-