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Les deux discours prononcés par M. Gambetta, à Angers et au Havre, avaient provoqué une vive irritation dans le clan réactionnaire et une interpellation de M. Raoul Duval avait été annoncée. Elle visait à la fois le chef de l’extrême-gauche et le cabinet. Le terrain choisi, c’était la présence officielle du maire d’Angers et de celui du Havre dans les banquets. Était-il admissible que des maires, choisis, nommés par le gouvernement, s’associent à des manifestations dirigées contre l’Assemblée nationale, émanation directe de la souveraineté nationale ? Ces maires n’étaient que des « fonctionnaires » tenus à la même réserve que les autres membres de l’administration. Quelles mesures le gouvernement avait-il prises ou allait-il prendre contre eux ? Tel fut le thème jésuitique sur lequel broda M. Léon Duval et auquel répondit pitoyablement M. Victor Lefranc, ministre de l’intérieur à étiquette républicaine, qui parût n’avoir d’autre souci que d’essayer de désarmer les droites ; il fut tellement de leur avis que M. Raoul Duval retira son interpellation. Il ne pouvait être que satisfait de cette nouvelle capitulation. Capitulation aussi blâmable qu’inutile ; M. Victor Lefranc devait, peu de temps après, être la première victime des fureurs de la majorité.

Les monarchistes, qui ne perdaient pas l’espoir de voir aboutir leurs projets de fusion pour une restauration, voyaient, non sans une vive inquiétude, le parti bonapartiste mener avec ardeur, habileté et audace, leur propagande ; ils connaissaient leurs attaches avec une partie de l’armée ; leurs inquiétudes étaient partagées par les républicains. Il fallait porter à cette faction, sans remords et sans scrupules, un coup vigoureux. Il suffira, sans doute, d’évoquer les conditions dans lesquelles a été engagée la guerre, de faire éclater, aux yeux de tous, l’imprévoyance et l’incapacité du gouvernement impérial, de son administration, de ses chefs militaires. Pour cela il faut faire l’inventaire rétrospectif de la situation militaire au 1er juillet 1870 ; de rechercher comment ont été employés les crédits ordinaires et extraordinaires votés par le Corps législatif pour le développement ou la transformation de l’outillage de guerre ; d’étudier son fonctionnement durant la désastreuse campagne ; de faire un inventaire complet des arsenaux. Ce fut pour le duc d’Audiffret-Pasquier, l’occasion d’un discours, véritable réquisitoire, formidablement documenté dont l’affichage fut voté. Le parti bonapartiste en eût été écrasé, si des sanctions réelles eussent suivi la manifestation. Mais il était dit que le pouvoir exécutif et l’Assemblée nationale se montreraient aussi indulgents envers les fauteurs de nos désastres qu’ils s’étaient montrés sans pitié envers les républicains parisiens qui, après avoir soutenu un siège douloureux, venaient de subir un second siège pour défendre et sauver la République.

M. Rouher voulut tenter de prendre une revanche : le terrain était tout indiqué ; il s’attaqua à la gestion du gouvernement du 4 septembre et, en vue d’émouvoir l’Assemblée contre le chef de l’extrême-gauche, il exécuta une charge à fond de train contre la campagne dissolutionniste de M. Gambetta.