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nationale, évoquant toutes les douleurs de la patrie vaincue et mutilée. De l’Assemblée nationale, de la dissolution, il disait à Angers :

« Je n’attends rien de l’Assemblée de Versailles : elle montre tout ce qu’elle craint en n’osant pas rentrer dans ce Paris, berceau de notre civilisation, bouclier de nos libertés publiques, initiateur et guide de l’esprit national, de ce Paris qu’on peut dénoncer à la haine imbécile de quelques ruraux, mais qu’on ne peut parvenir à abattre ni à déshonorer…..

«….. Les minutes nous font perdre des siècles. Si cela dure trop longtemps, si nous nous attardons dans ce provisoire qui nous énerve, qui lasse l’attente du pays, nous courons les plus grands périls. Ah ! messieurs, n’hésitons pas ! Quant à moi, ma conviction est faite, et je l’exprime ici avec toute l’ardeur de mon amour pour la France : entre la dissolution de l’Assemblée et la dissolution de la patrie, je vote pour la dissolution de l’Assemblée ! »

Au Havre, il insista sur trois points essentiels. Après avoir revendiqué comme un honneur l’épithète de « commis-voyageur de la démocratie » que lui avaient décochée les journaux réactionnaires, sur la question d’instruction et d’éducation il disait : « Cette éducation il la faut absolument civile : c’est le caractère même de l’État. Et qu’on ne crie pas à la persécution ! L’État laissera aux cultes la plus grande liberté, et nos adversaires seront les premiers à le reconnaître. L’État ne peut avoir aucune compétence ni aucune action sur les dogmes, ni sur les doctrines philosophiques : il faut qu’il ignore ces choses, ou bien il devient arbitraire, persécuteur, intolérant ; il n’a pas le droit de le devenir ». Sur le service militaire obligatoire il se prononçait en ces termes « Chaque citoyen soldat et instruit ». En ce qui touche la question sociale, il décelait les vrais sentiments de son âme bourgeoise : « Ne nions pas les misères, les souffrances d’une partie de la démocratie….. mais tenons-nous en garde contre les utopies » ; il ajoutait : « Il n’y a pas de remède social, parce qu’il n’y a pas une question sociale. Il y a une série de problèmes à résoudre ». Et il affirmait que la France n’a jamais demandé que deux choses au gouvernement : « l’ordre » et « la liberté » !

Il ne s’agissait pas seulement de rassurer les intérêts des possédants et dirigeants qu’il importait de grouper en un solide faisceau ou de rallier à la République, il fallait aussi prévenir les esprits, particulièrement les esprits ouvriers, contre le mouvement qui, déjà, se manifestait dans le pays, en vue duquel la loi contre l’Internationale venait d’être forgée et qui, avant qu’une année se fut écoulée, allait être l’occasion de nombreux procès. Ce mouvement s’était lentement ébauché ; fort confus, il n’allait se préciser que sur deux points : l’adoption de la Révolution du 18 Mars comme une date mémorable, caractéristique, des efforts du prolétariat pour son émancipation ; le ralliement d’une partie de ce mouvement au mouvement international. En ce qui touche la doctrine, il faut dire, reconnaître qu’elle était fort diverse, d’ordre composite, plutôt sentimentale. Il n’en pouvait être autrement.