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CHAPITRE XIII


Adresses des conseils généraux et campagne oratoire de Gambetta. — « Il n’y a pas de question sociale. » — La dissolution. — Réorganisation de l’Internationale. — Le service militaire et l’instruction populaire. — M. Thiers à l’Élysée.


L’intersession, quoique fort brève, puisque l’Assemblée devait reprendre ses travaux le 22 avril, fut extrêmement agitée. Elle fut marquée par des incidents, des événements bien faits pour démontrer qu’il y avait quelque chose de changé en France. L’attitude brouillonne, maladroite, haineuse et mesquine des droites avait fini par émouvoir le pays avide de tranquillité intérieure, maintenant que la paix extérieure semblait assurée et que, progressivement, s’effectuait l’évacuation des départements occupés par les armées allemandes. Le résultat le plus clair des intrigues monarchistes, des complots bonapartistes, des menées cléricales fut de déterminer un courant d’opinion républicaine qui se manifesta jusque dans les régions dont la majorité des représentants était composée des pires réacteurs.

De nombreux conseils généraux, tout en respectant la loi qui les régissait, se réunirent hors séance pour envoyer au chef du pouvoir exécutif des adresses de sympathie et de confiance ; pour l’encourager à persister dans « l’essai loyal », à maintenir envers et contre tous la forme du gouvernement.

Léon Gambetta entreprenait sa campagne oratoire qui devait faire pressentir, sous une forme véhémente, passionnée, l’homme d’État qui se révélerait quelques années après, assez modéré pour évoluer vers le centre du parti républicain et mériter les approbations de M. Thiers lui-même. Il serait injuste de méconnaître que sa campagne joua un rôle prépondérant dans le groupement, le développement de la démocratie française.

Les deux discours qu’il prononça à Angers et au Havre eurent un prodigieux retentissement. On en pût juger par la lecture des journaux conservateurs de l’époque, dont les colonnes s’emplirent d’attaques violentes et d’injures grossières qui ne firent, du reste, que lui amener des partisans. Il s’attacha à ne point éveiller les susceptibilités de M. Thiers, à contester à l’Assemblée tout pouvoir constituant, à réclamer la dissolution, à flatter le peuple qui travaille tout en rassurant la bourgeoisie, traçant un programme social tout particulièrement antisocialiste ; il se posait avant tout comme l’homme de la Défense