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les cultes reconnus par l’État ! Mais est-ce que la multiplicité même de ces cultes et leur diversité ne démontrent pas de la manière la plus évidente que les cultes sont essentiellement justiciables de la discussion ? Est-ce qu’il est possible à un culte quelconque de proclamer qu’il est le seul vrai, sans proclamer par cela même que les autres sont fils de l’erreur ? Et ne voyez-vous pas qu’il y a là une atteinte flagrante au principe du libre examen. Ne voyez-vous pas que si vous adoptiez un pareil projet de loi, vous feriez reculer notre génération de trois siècles dans l’histoire. (Nouveaux applaudissements à gauche).

« Mais que dis-je ? il n’y a rien au monde, pas plus votre projet de loi qu’autre chose, qui puisse faire reculer notre génération, même de vingt ans dans l’histoire, en matière de libre examen.

« Messieurs, on montre, à quelque distance de Worms, un arbre qu’un paysan était en train de planter lorsque Luther, qui allait se faire juger par Charles-Quint, passa. Le moine dit au paysan : — « Donne, que je mette cet arbre en terre, et puisse, comme lui, grandir ma doctrine ! » — Quelque temps après, Luther était condamné ; un arrêt de proscription était lancé contre lui et il fuyait comme un malfaiteur le long des bois de la Thuringe. Mais il avait écrit, en partant, au puissant empereur : — « Ma cause est celle de toute la terre. » — Cette cause, Messieurs, c’était celle du libre examen. (Approbation sur divers bancs à gauche. — Rumeurs à droite.)

«… J’affirme que votre projet de loi est misérablement inefficace.

« Mais il n’est pas seulement inefficace, il est dangereux parce qu’il va contre son but ; parce qu’il donnera à la Société que vous voulez détruire un surcroît d’importance. Et il est dangereux aussi à un autre point de vue : il est dangereux parce qu’il procède du système de la Commission qui, comme tel, tend à faire dégénérer la discussion en complot et une société publique en une société secrète.

« La compression !… Mais c’est une bien étrange faute, et, dans le siècle où nous sommes, bien inconcevable, que l’adoption d’un pareil système par les gouvernements qui y ont recours. »

L’Assemblée avait complété son œuvre de réaction en votant la loi sur la déportation. Elle put, une fois de plus, se séparer pour prendre du repos… Elle l’avait bien gagné !