Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Vous faire aujourd’hui des propositions sur tout ce qui est constitutif serait de notre part une témérité, une entreprise sur vos droits. Mais lorsque, soulevant vous-mêmes les graves questions qui préoccupent les esprits, vous nous provoquerez à nous expliquer sur leur solution, nous vous répondrons avec franchise et loyauté.

« C’est contre les partis, sans passions, même les plus honnêtes, qu’il faut nous aider et, dans une situation où une suite de révolutions a laissé sur le sol tant de partis et de subdivisions de partis, vous élever au-dessus d’eux à une suprême justice, à une suprême modération, à une suprême fermeté.

« Vous l’avez fait déjà bien souvent et dans les jours les plus agités, lorsqu’il semblait devoir sortir de vos délibérations des tempêtes, il en a jailli sur-le-champ des volontés d’une haute et profonde sagesse. C’est à la majorité, auteur de ces volontés salutaires, que je m’adresse en ce moment, et tout fatigué que je suis, si, dans cette voie de sagesse, mon dévouement vous est utile encore, vous pouvez y compter. Mais s’il ne vous est pas indispensable, si votre sagesse n’approuvait pas mes vues à quelque degré, oh ! n’hésitez pas, faites un signe, un seul, et, redevenu ouvrier fidèle et soumis, je vous remettrai l’œuvre que vous m’avez confiée, et, grâce au loyal et habile concours de mes collègues, en meilleur état que je ne l’ai reçue. »

Cette attitude, ce langage parurent incompréhensibles, d’autant que M. Thiers qui, à deux reprises, avait exigé que le mot de République fut associé officiellement à son titre de chef du pouvoir exécutif, ne prononçait plus le mot de république, n’esquissait aucune vue sur les questions les plus pressantes à l’ordre du jour, telles que l’état de siège, l’apaisement des esprits par un appel à la clémence, le retour de l’Assemblée à Paris. Qui donc voulait-il tromper ? la Droite, majorité, mais impopulaire dans le pays, ou la gauche qui, à chaque manifestation électorale, gagnait visiblement du terrain ? Et quand la France, après l’effroyable, onéreuse leçon reçue, détachée du gouvernement personnel, monarchie ou empire, s’orientait vers la République, il demandait à la Droite de lui donner des institutions définitives ! C’était convier le loup à prendre la garde du troupeau. C’était même proclamer inutile la loi Rivet présentée sous son inspiration.

La majorité devait rapidement répondre aux humbles avances de M. Thiers en repoussant, parmi les huées, les injures, les rires moqueurs, la demande d’urgence sur la proposition que, le lendemain, déposait M. Duchâtel et qu’appuyait M. Casimir-Périer, ministre de l’intérieur, et qui tendait au retour à Paris de l’Assemblée Nationale et du pouvoir exécutif.

Au cours de cette séance et de celle qui la suivit, s’éleva une discussion bientôt passionnée, déchaînant des scènes d’un tumulte inouï, d’une violence pour ainsi dire sans précédents dans cette assemblée si facilement et si fréquemment démontée.

Un certain nombre de députés des Bouches-du-Rhône et du Rhône avaient