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républicaine, même dans les journaux qui ne cessaient de flétrir le mouvement du 18 Mars. La République française, que venaient de fonder M. Gambetta et ses amis, disait : « Quelqu’un, hier, nous demandait : « Ceux pour qui vous invoquez la pitié ne sont-ils pas coupables ? » Cette question ne nous embarrasse pas car c’est au nom de l’intérêt social, c’est au nom de la paix, c’est pour tranquilliser le présent, c’est pour assurer l’avenir que nous demandons une commutation de peine pour tous les condamnés à mort, pour tous sans exception. Il ne s’agit pas de savoir si celui-ci est plus coupable que celui-là, mais s’il est bon, après tant de sang versé, d’ouvrir l’ère des exécutions. Nous estimons que non, et nous avons le ferme espoir que le Gouvernement, que la Commission de l’Assemblée résisteront aux excitations mauvaises de ceux qui se font les pourvoyeurs du bourreau. »

« Pourvoyeurs du Bourreau ». C’était bien le titre flétrissant que méritèrent les journalistes qui, à côté des cris de pitié, des appels à la clémence, poussaient leurs clameurs haineuses, leurs excitations féroces. Ils furent les seuls écoutés, hélas ! Pas plus la Commission des grâces que M. Thiers ne se laissèrent fléchir ; le 28 novembre, à Satory, Rossel, Ferré et Bourgeois tombèrent foudroyés par les balles du peloton d’exécution ; le surlendemain, à Marseille, Gaston Crémieux subissait le même sort. Tous les quatre moururent en braves, sans forfanterie, et leur attitude fière aggrava le mouvement de stupeur et d’indignation provoqué par ces exécutions auxquelles nul ne pouvait croire. C’est en ces termes que la République française jugea cette nouvelle tuerie :

« Les supplications des mères, le cri de l’opinion publique, les adjurations de la presse, les avertissements de la raison politique, tout a été inutile, tout est venu se briser contre une immuable résolution. Six mois après la défaite de l’insurrection, de longues semaines après les condamnations des accusés, on exécute des jugements de mort. On a cru obéir à la raison d’État, et on a fermé l’oreille à la voix de l’humanité. Pour notre pays éprouvé par tant de désastres, nous ne savons pas de plus affreux malheurs. »

La presse républicaine tout entière désapprouva, blâma hautement les exécutions. Dès la rentrée de l’Assemblée Nationale, sous la pression de tous les conservateurs, le Gouvernement devait demander l’autorisation de poursuivre les journaux qui avaient violemment attaqué la Commission des grâces. L’opinion répondit énergiquement à cette attitude irritante : les jurys partout acquittèrent les journaux poursuivis !