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vous défendre. Qu’est-ce qu’un Gouvernement fort ? Un Gouvernement qui croit en lui. Si vous enlevez la confiance à Paris, vous l’enlèverez aussi au reste de la France. Je suis toujours au milieu des Parisiens ; il y a un esprit de concorde ! Mettez-y un peu de votre côté et consacrez définitivement la réunion de Paris et de la France ! »

Quant à M. Duchâtel, son langage fut plus net, il le parût encore davantage car il tombait de la bouche du fils d’un ministre de la monarchie de juillet dont la tendresse pour Paris ne fut jamais le faible : « Le 18 Mars était le produit d’une époque troublée. Il ne doit pas intervenir dans le débat. J’ai l’absolue conviction qu’on aura bientôt la preuve que la population parisienne a été victime d’un affolement. Le siège, la crainte de la banqueroute et de l’abandon du Gouvernement l’ont rendue folle. Il y a à Paris, dites-vous, un élément révolutionnaire ? Nous ferons mieux de songer à ces industriels qui se tournent vers nous ? Si nous acceptions le projet nous serions inconséquents avec nous-mêmes, nous avons adopté une politique d’apaisement : en excepterions-nous Paris ? »

Tout à la fin de la discussion, M. Dufaure intervint au nom du Gouvernement et donna la pensée de M. Thiers. Acceptant le maintien de l’Assemblée à Versailles, il réclama le maintien des ministères à Paris. C’était une transaction misérable : à cette époque elle apparut comme un acte d’énergie ! Il en fut ainsi décidé par l’Assemblée qui, avant de se proroger, le 18 septembre, avait vu déposer par M. Henri Brisson un projet d’amnistie signé par quarante-quatre députés de l’extrême-gauche. Voici un extrait des considérants ; ils donneront une idée de l’état d’esprit de la fraction la plus avancée de la gauche, à cette époque : « Est-il vraiment possible de juger trente-cinq mille prisonniers, et ne serait-il pas plus humain, plus politique, plus sage d’écouter enfin la voix de la clémence ? Ne parle-t-elle pas en faveur de cette fraction exaltée d’une population généreuse, mais surexcitée par l’Empire, égarée par les souffrances du siège et les déceptions du patriotisme, en proie à la misère, aux mauvais conseils, à la violence ? Au moment de nous séparer, ne ferons-nous pas entendre une parole de paix à ces trente mille familles que l’absence de leurs chefs réduit au désespoir ? Pour la plupart d’entre eux, le châtiment n’est-il pas suffisant déjà ? Ceux-là même qui conserveraient de mauvais sentiments ne sont-ils pas désormais impuissants à mal faire ? Est-il bon enfin de dépeupler plus longtemps les ateliers de Paris ? »

Tel était le langage tenu, tel était le jugement porté sur le mouvement qui, de l’aveu des moins suspects, avait sauvé la République des conjurations et des menaces de toute sorte, peu déguisées, se déroulant, qui s’étaient manifestées à Bordeaux d’abord, à Versailles ensuite ; avait affirmé le haut patriotisme de Paris et l’attachement, jusqu’à la mort, d’une vaillante minorité aux idées de transformation sociale.

Le 18 septembre, ceux que la France avait élus dans les circonstances les