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HISTOIRE SOCIALISTE

des injures, des interpellations violentes ou grossières, telles qu’il ne put le terminer que par cette apostrophe qui déchaîna une tempête : « La dissolution, vous serez obligés de la subir, si vous n’avez ni le courage ni le patriotisme de l’affronter ! »

Le lendemain même du vote de la proposition, M. Thiers adressa son premier Message, un Message de remerciements, dans lequel il soulignait l’honneur que lui avait fait l’assemblée en lui décernant « la première magistrature de la République ». Ce passage fut accueilli avec une froideur suivie de murmures significatifs, par toutes les droites. Ainsi que l’écrivait M. A. Ranc : « la lune de miel n’avait pas duré un jour ».

Dès ce moment, la coalition, maladroitement conservatrice, sans cesser d’ourdir des conspirations monarchiques, allait entreprendre une lutte sans merci, tantôt sournoise, jésuitique, tantôt ouverte, sans ménagements, contre l’homme qui l’avait bernée, mais avait donné des gages si évidents, si farouches, à ce qui s’appelle la défense de l’ordre, à la conservation sociale. C’est ainsi que peut seulement s’expliquer l’appui que donnèrent à M. Thiers les gauches de l’Assemblée dans leurs campagnes pour pour l’établissement légal et définitif de la République. Une fixité qui n’allait pas être d’une durée aussi prolongée que le marquait la loi Rivet, donnée au pouvoir exécutif, son rôle suffisamment défini et relativement restreint, se posait la question du Gouvernement et du Pouvoir parlementaire : Versailles ou Paris ? la ville de Louis XIV ou la ville de la Révolution ? la capitale grandiose et morose du Roi-Soleil ou la capitale de la Démocratie universelle ? Ce problème posé déchaîna encore bien des orages. Des hommes, cependant très modérés, tels que MM. Léon Say, préfet de la Seine, Duchâtel, un orléaniste rallié par raison, De Lasteyrie, joignirent leurs efforts aux républicains pour soutenir la cause de Paris, apaisé, incapable du reste, après la saignée pratiquée, avec l’état de siège, de tenter le moindre mouvement.

M. Léon Say fit la déclaration suivante ; elle ne pût, elle ne pouvait rassurer ceux à qui M. Thiers, quelques séances auparavant, avait demandé s’ils avaient peur de Paris, quand une armée de 120.000 hommes les protégeait : « Cette question, dit M. Léon Say, me cause beaucoup de tristesse. On fait à cette heure le procès de Paris ; la question est de savoir s’il sera condamné….. Vous ne pouvez faire que la discussion ne soit comprise par le pays. Eh bien ! messieurs, je vous le dis, le moment est opportun, allez siéger dans Paris, la sécurité pour l’Assemblée est assurée….. Est-ce que vous ne voyez pas délibérer à Paris un Conseil municipal qui contient dans son sein l’expression des opinions les plus extrêmes ? Ne montre-t-il pas aujourd’hui une grande sagesse ?….. Si vous aviez assisté aux séances, vous ne douteriez pas de ma parole ! Le jour où ce Conseil a été élu, est-ce que vous n’aviez dans l’esprit des craintes qui ne sont pas réalisées ? Je vous le dis en finissant messieurs, Paris vous appelle, vous demande pour vous conserver, pour