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projet de loi tendant à l’autoriser à émettre un emprunt de 2 milliards 500 millions, pour ainsi dire aussitôt réduit à 2 milliards ; le 20, à l’unanimité de 547 voix, était votée la loi réglant les conditions de cet emprunt qui fut émis le 27 du même mois, en 5 %, au taux de 82 fr. 50. Il eût un succès considérable, puisque le total des souscriptions s’éleva à 1 milliards 897 millions. On a écrit, répété, ce qui est exact, que ce succès fut une manifestation éclatante affirmant la vitalité et le crédit de notre pays à peine sorti, mais non encore rétabli, d’une crise très grave ; mais, dès cette époque à laquelle, parmi les puissances étrangères, chez nos vainqueurs eux-mêmes, étaient connues, appréciées, les grandes ressources de la France, ses énormes disponibilités, la solidité de sa richesse, malgré la déplorable, criminelle gestion de l’Empire, on s’accorda à trouver vraiment trop bas, par suite trop onéreux, le taux d’émission. Certains, à la vérité, invoquèrent que M. Thiers n’avait osé risquer un taux plus élevé, de crainte d’un échec partiel. Il n’était pas à redouter. À l’exception de quelques centaines de souscripteurs qui, généreusement, portèrent leurs capitaux sur « l’autel de la Patrie », la grande majorité fut surtout séduite par l’écart de 17 fr. 50 entre le taux d’émission et le pair ; — il y avait une belle marge pour les primes rémunératrices. Le véritable patriotisme eut d’abord consisté en la ruée de tout le pays contre les armées d’invasion ; en la mobilisation de tous les capitaux pour fournir au Gouvernement de la Défense nationale les moyens de lutte qui lui firent défaut : il avait fallu trouver à Londres (l’emprunt Morgan le démontre) d’insuffisants millions à des conditions usuraires. En réalité, les centaines de millions qui s’étaient terrés au moment de défendre le pays ne reparurent que pour assurer la paix, dont le prix le plus douloureux était, sans contredit, le démembrement de la frontière de l’Est.

Le succès de ce premier emprunt, le paiement en cinq termes, du 1er juin au 31 juillet, de la somme de 500 millions de francs, inaugurèrent l’œuvre de libération du territoire, car des négociations s’engagèrent pour obtenir du Gouvernement allemand l’anticipation des paiements, par suite l’évacuation anticipée des départements occupés.

L’inscription au Grand-Livre de la Dette publique des milliards constituant l’indemnité réclamée par le vainqueur, la liquidation de toutes les dépenses passées, les dépenses qui s’imposaient et allaient s’augmenter dans des proportions considérables, devaient, naturellement, entraîner une formidable aggravation des impôts, déjà très lourds avant la guerre. Ce fut l’occasion de grands débats à l’Assemblée Nationale, dont la conclusion fût que rien ne serait changé au système fiscal et que la majeure partie des chargez nouvelles serait demandée au pays par la voie des impôts indirects, ceux qui pèsent le plus lourdement sur la masse populaire. Ce n’étaient pas une Assemblée et un Gouvernement ultra-conservateurs des privilèges de la classe possédante qui pouvaient la frapper directement.

Avant de se séparer pour aller se reposer de ses fatigues et de ses émotions,