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Rien, en effet, ne pouvait rassurer cette Assemblée qu’avait affolée la peur de la Révolution parisienne et dont la rage, la passion, l’esprit de vengeance ne devaient disparaître que plus tard, lors de sa propre disparition.

On le constatait par l’acharnement contre ceux qui, en province et à Paris, avaient pris part aux luttes révolutionnaires ; par les conditions cruelles dans lesquelles les prisonniers étaient traités, dans les camps, sur les pontons, dans les prisons ; dans lesquelles ils allaient être traités devant les nombreux conseils de guerre spécialement institués pour les juger — si l’on peut qualifier l’acte de juger, qui implique sang-froid, impartialité, d’équitable, quand, contre des vaincus, il est confié à leurs vainqueurs immédiats, encore imprégnés de la fièvre sauvage de la bataille ?

Ce qui incitait l’Assemblée et le pouvoir exécutif à poursuivre, sous des apparences plus calmes, plus légales, la répression impitoyable de Mai, c’était la nécessité — pour eux — de donner à la Révolution parisienne, aux mouvements similaires de province, un caractère tout autre que celui qu’ils avaient eu en réalité. Puis, frapper à jamais ceux qui avaient le plus activement participé à l’action ; faire des exemples terrifiants ; enfin, éloigner pour longtemps ceux qui avaient ou passaient pour avoir une influence sur le parti démocratique, particulièrement sur la classe ouvrière. Il importait de réagir vigoureusement contre le sentiment sympathique qui déjà, malgré la terreur organisée, malgré les calomnies répandues, commençait à se manifester ; contre le sentiment d’horreur dégagé même par les récits des journaux les plus acharnés après les vaincus, récits consacrés aux exécutions sommaires si largement pratiquées, dans les rues de Paris, par les soldats de Versailles surexcités, déchaînés ; par les cours martiales qui, au théâtre du Châtelet, comme au Luxembourg, avaient fonctionné, telles des mitrailleuses !

Quelle erreur ! quels abominables mais stupides calculs destinés à procurer, durant quelques années à peine, une tranquillité encore bien relative. En face de la légende versaillaise peu à peu se formait la légende socialiste-démocratique, faite de pitié pour les vaincus, d’exécration pour les vainqueurs ; enfin, de la légende enthousiaste allait se dégager le véritable caractère du 18 Mars, transformé en une date populaire internationale, partout commémorée et, de la cendre des fusillés, le Socialisme, ressuscité, régénéré, empruntant à la science ses méthodes, allait reparaître jeune, vigoureux, émouvant les masses, groupant les esprits libres ou généreux, ouvrant large la voie, suscitant les revendications et faisant naître toutes les espérances.

Les procès nombreux, les exécutions accomplies de sang-froid, la déportation, loin de servir la cause conservatrice, lui firent un tort considérable ; quand leurs protagonistes s’en-aperçurent, il était trop tard : ils allaient être emportés à jamais par le réveil républicain, que devait rapidement suivre le réveil socialiste.

Malgré leur nombre, les conseils de guerre fonctionnant ne pouvaient suf-