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HISTOIRE SOCIALISTE

nements de répression, quels qu’ils soient, et de quelque nom qu’ils s’appellent. Grande leçon aussi et grand réconfort pour les combattants socialistes, car ils apprennent que l’effort obscur et constant de chacun se retrouve tout entier au jour des grandes crises. La persistance du communisme babouviste à travers toutes les persécutions et toutes les réactions, la persistance de la foi républicaine et de l’espérance ouvrière jusque sous le triomphe insolent du second Empire, sont parmi les faits les plus remarquables de toute notre histoire. Quand l’énergie passionnée des consciences ouvrières a pu, sans aucun droit légal, sans aucune ressource d’organisation publique, sauver de l’oubli mortel et du désastre définitif la liberté et le socialisme, comment ne serait-elle point assurée de la victoire, disposant maintenant des moyens d’action multiples que le prolétariat a conquis.

Le socialisme a grandi depuis un siècle, il est devenu une puissance par l’emploi simultané ou alternatif de deux méthodes en apparence contradictoires et que le libre génie des ouvriers a conciliées. Tantôt il s’est mêlé, avec le babouvisme, avec le blanquisme, à tous les mouvements de la démocratie, à toutes les agitations du peuple. Tantôt, comme avec Fourier, avec Saint-Simon, avec quelques-uns des premiers ouvriers de l’Internationale, il a voulu isoler ou la pensée ou l’action du socialisme. Tantôt il considère que la conquête des libertés politiques est la condition préalable de l’avènement social des ouvriers ; et il concentre sur cette première tâche tout leur effort. Tantôt il les avertit de ne jamais détourner leurs vues et leur action de leur objet suprême et de leur idéal. À toutes les pages de l’Histoire Socialiste, se retrouve ce conflit des tendances et des méthodes. Mais en fait, le prolétariat ne sacrifie jamais l’une à l’autre. Jamais il ne se désintéresse des événements confus et vastes où il peut essayer sa force et développer son action. Mais jusque dans cette impétuosité de mouvement, qui le jette dans toutes les batailles politiques et intellectuelles, il ne perd pas son intransigeance foncière ; il a le sens très vif que toute action ne vaut que comme un acheminement, comme un entraînement à la révolution de propriété ; que toute réforme ne vaut que comme un degré vers le but supérieur. Le grand problème tactique des jours présents, c’est de concilier en effet, non pas seulement d’instinct mais délibérément ces deux méthodes également nécessaires. On peut dire que le marxisme fut à l’origine un essai de synthèse des deux tendances, puisqu’il invitait le prolétariat à participer à tous les mouvements de la démocratie, mais pour les faire tourner immédiatement à la victoire du communisme. Le même problème s’impose aujourd’hui à nous, mais en des circonstances différentes. Au temps du Manifeste communiste, la révolution démocratique n’était pas accomplie en France ; elle n’était même pas ébauchée en Europe, et Marx pouvait croire que le prolétariat serait assez fort pour faire servir à ses propres fins les agitations prévues de la révolution démocratique bourgeoise.

Maintenant, c’est dans une démocratie puissamment constituée et qui évolue