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sion, prit la parole, au nom des socialistes. Certainement, il fallait secourir nos nationaux menacés. C’était un devoir impérieux, un devoir d’humanité. Mais il importait aussi de rechercher quelles causes avaient provoqué cette explosion de colère, ce soulèvement contre les étrangers. Il n’y fallait pas voir seulement un mouvement de haine irraisonnée contre la civilisation occidentale, mais bien contre les procédés employés pour la faire pénétrer en Chine. Ce que les missionnaires avaient commencé, en froissant les Célestes dans leurs croyances séculaires, les spéculateurs occidentaux l’avaient complété par leurs tentatives économiques non entreprises dans un but civilisateur, mais dans un but de lucre. La perpétuelle ingérence des puissances européennes et américaine dans la politique chinoise en vue d’obtenir, d’arracher des concessions et des privilèges était une source d’excitation. Les puissances étrangères récoltaient les fruits amers de la conduite de leurs nationaux avides. Et il demandait au Gouvernement, une fois les légations mises hors de péril, le calme rétabli, de respecter la « nationalité chinoise » et de ne pas exiger la continuation d’entreprises qui pourraient provoquer de nouvelles colères parmi les habitants du vaste empire.

Les crédits réclamés furent votés et bientôt 10.000 hommes étaient envoyés en Chine pour collaborer avec les troupes des autres puissances à la marche sur Pékin et à la délivrance des légations. Au cours de cette expédition internationale, placée sous le commandement du général allemand de Waldersée, on put voir côte à côte, en camarades, combattre des troupes de toutes les nations, la veille encore se surveillant le doigt sur la gâchette du fusil. Tant il est vrai que les hommes sont plus capables d’oublier leurs haines pour des œuvres de guerre que pour des œuvres fécondes, bienfaisantes, libératrices !

Malgré les majorités que rencontrait le cabinet Waldeck-Rousseau, chaque fois qu’il était attaqué, en raison des discours prononcés par le ministre du commerce, des mesures prises par lui, des projets dont la préparation était annoncée, des espérances qui se manifestaient parfois sous une forme très passionnée dans le monde ouvrier et dans une notable fraction du parti socialiste ; en raison des mesures prises par le ministre de la guerre et de l’attitude fréquemment très nette du président du conseil, des intrigues sourdes, hostiles, se nouaient dans le Parlement, jusque dans la gauche ministérielle ; elles n’osaient se manifester au grand jour de la tribune, nul n’osant affronter les responsabilités de la mission confiée au ministère, mais elles n’en produisaient pas moins leurs effets très appréciables. C’est ainsi que le 7 juin, l’élection de la Commission du budget fut une réelle surprise, puisqu’elle était en grande majorité composée de députés notoirement hostiles à la politique générale du gouvernement. M. Cochery, progressiste, en était le président. La guerre politique allait être portée sur le terrain financier.

Le monde patronal, malgré de constantes manifestations fort platoniques de sympathie envers les travailleurs, montrait une vive inquiétude, de l’irritation, des mesures prises par M. Millerand.