Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grande confiance en sa valeur technique à ses officiers et à ses troupes. Sans doute il n’était pas républicain : on le savait conservateur, mais il avait toujours observé la plus grande neutralité, on ne lui en demandait pas davantage et l’on avait foi en son loyalisme. Or, depuis quelque temps, il s’était départi de cette neutralité coutumière, non ouvertement. Voici qu’après une audience accordée par le président de la République il adressait au ministre de la guerre une lettre par laquelle il demandait à être relevé de ses fonctions et à être mis en disponibilité. Quels étaient les motifs de cette attitude qui, après celle du général Delanne, devenait inquiétante.

Allait-on, par de telles initiatives répétées, tenter d’agiter l’opinion et d’exercer une pression sur le Parlement, en faisant entrevoir une lente, méthodique désorganisation des cadres supérieurs de l’armée ?

M. Jourde, député de Bordeaux, adressa une question au ministre de la Guerre et la question, comme cela était à prévoir, se transforma en interpellation. Le général André, par la lecture de la lettre du général Jamont, établit devant la Chambre que les mêmes mesures qui avaient provoqué la démarche du chef d’état-major général venaient de déterminer celle du général Jamont. La Chambre avait approuvé les déclarations faites à ce sujet, il n’en avait pas de nouvelles à ajouter. Satisfaction avait été donnée au général Jamont qui était remplacé par le général Brugère.

Ce fut M. Krantz, toujours inconsolable comme bien d’autres de l’indifférence manifeste des successives combinaisons ministérielles pour ses capacités, qui transforma la question en interpellation. Il parla avec tristesse et fut écouté sans joie. Il demanda à la Chambre « de ne pas s’associer à cette désorganisation voulue de l’état-major ». Après une discussion touffue, la Chambre fit encore confiance au général André. Il en fut de même quelques jours après au Sénat qui vota l’affichage du discours dans lequel le président du Conseil avait dit : « Le pays ne se laissera jamais persuader qu’un tel incident a pu désorganiser notre défense nationale, et s’il s’émeut, c’est des conseils donnés à l’armée et qui sont quelquefois suivis ». Au surplus, avait-il déclaré, toutes les tentatives en vue de les paralyser dans la mission qu’ils avaient acceptée et dont ils acceptaient les responsabilités resteraient vaines, « ils continueraient leur tâche, car ils n’étaient pas de ceux qu’on intimide ni qu’on décourage ».

On imagine que la coalition nationaliste ne pouvait laisser passer à sa portée une telle occasion de manifester son indignation envers ceux qui « désorganisaient l’armée et affaiblissaient la patrie » et son admiration éperdue pour les chefs militaires, indisciplinés, hostiles à la République. Une souscription fut ouverte en vue d’afficher dans toute la France la lettre du général Jamont. Elle produisit une somme de 10.000 francs ; mais le généralissime en disponibilité s’empressa d’adresser au ministre de la Guerre une lettre par laquelle il déclarait qu’étranger à cette manifestation il la désapprouvait.