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la situation par ces paroles : « Il faut savoir si le président du conseil, revenant à sa politique opportuniste, va chercher désormais sa majorité en revenant vers le centre. Pour nous, nous n’allons plus avec lui ! »

M. Waldeck-Rousseau répondit immédiatement à l’orateur socialiste. Il exposa qu’une enquête judiciaire était ouverte et qu’elle fixerait toutes les responsabilités. Faisant le récit des faits tels qu’ils lui avaient été transmis, il déclara que les usines avaient été attaquées par les grévistes et les gendarmes criblés de pierres ; il y en avait eu de blessés en assez grand nombre. Cette fois, le président du conseil s’orientait vers la gauche modérée et le centre, espérant y trouver la majorité qui semblait devoir être entamée sérieusement, par suite de l’attitude des socialistes. Son langage fut très catégorique, aussi, tandis qu’il causait une vive irritation sue les bancs de l’extrême-gauche, provoquait-il les applaudissements parmi les républicains qui, jusqu’à ce jour, en raison de la présence de M. Millerand au ministère du commerce, lui avaient refusé obstinément leur concours :

« Le droit de l’ouvrier, déclara-t-il, fut-il seul à travailler, est égal à celui de tous les autres à ne pas travailler, et lorsque vingt gendarmes accompagnent deux ouvriers à l’usine parce qu’ils veulent travailler, ils accomplissent leur devoir et le Gouvernement les approuve. »

La thèse si brillamment soutenue n’était pas acceptable pour les socialistes, mais elle provoqua l’enthousiasme des représentants de la classe capitaliste qui, de leur côté, admettent parfaitement les coalitions d’industriels, de commerçants, de financiers, coalitions auxquelles tous les patrons de la spécialité en jeu sont contraints d’adhérer, de se plier, sous peine d’être ruinés. La liberté, comme pour d’autres la morale, est une question de latitude, de circonstances.

Les députés socialistes Zévaès, Fournière, Pastre intervinrent à leur tour pour manifester leur vive indignation de l’attitude de la force armée et du Gouvernement à Chalon-sur-Saône. Zévaès fut plus particulièrement âpre. Il demanda à la majorité républicaine de « répudier une politique de sang » et de décider qu’une enquête parlementaire serait ouverte sur ce douloureux événement. M. Berthelot, député radical-socialiste d’une incertaine fixité politique, réclama aussi une enquête parlementaire en vue de rechercher les responsabilités. Il visait directement M. Millerand, car il lui rappelait qu’à la suite de l’inoubliable, terrible fusillade de Fourmies, il avait fait une proposition identique. Le président du Conseil repoussa la demande d’enquête ; il la considérait comme un acte de méfiance vis-à-vis du Gouvernement. La situation devenait très grave pour le Cabinet ; elle allait dépendre de l’attitude du député de Marseille, Carnaud, ayant déclaré au nom de ses collègues du parti socialiste que l’enquête ne pouvait être repoussée ; qu’en tous cas ses amis et lui étaient résolus à la voter. Malgré tout, la proposition d’enquête fut repoussée 270 contre 250. Une grande partie du centre, pour sauver le