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frappés ; la culpabilité des protagonistes de cette sombre, monstrueuse aventure judiciaire. C’est dans ce sens que parlèrent MM. Trarieux et Delpech, ce dernier clouant au pilori, en pleine tribune du Sénat, dans les termes les plus exacts, les plus véhéments, le général Mercier qui tenta de se défendre, qui fut écouté par ses collègues parmi un silence glacial qui équivalait à une condamnation, à une flétrissure. M. Delpech ne lui avait-il pas jeté à la face cette phrase cinglante : « Comprenez Esterhazy dans l’amnistie ; il trouvera peut-être dans le pays des Chouans des électeurs pour l’envoyer ici ! » Le projet, malgré cette vive opposition, fut adopté.

Tandis qu’au Parlement se discutaient les projets ou propositions de lois relatifs à la presse, à la défense des colonies, à la réorganisation de la marine militaire, à la révision du célèbre article 7 sur l’enseignement, de très graves événements s’étaient produits à Chalon-sur-Saône, une grève avait éclaté à l’usine Galland et, comme cela se produit hélas ! trop fréquemment, l’intervention de la troupe avait provoqué l’irritation des grévistes ; des rixes avaient éclaté et des gendarmes en patrouille avec des chasseurs à cheval, se croyant menacés par la foule, perdant leur sang-froid, avaient fait usage de leurs armes : trois personnes avaient été tuées, les blessés étaient assez nombreux. Ce fut une consternation générale. Et quoi ! disaient les travailleurs, les socialistes, même ceux qui avaient décidé de soutenir le cabinet Waldeck-Rousseau, rien ne sera-t-il changé dans les procédés gouvernementaux en matière de grèves ? La pratique de ce droit reconnu par la loi sera-t-elle semée toujours d’épisodes tragiques, même quand un socialiste sera monté au pouvoir ?

Quelle allait être l’attitude des députés socialistes ; on la connut bientôt, car M. Simyan, député radical-socialiste de Saône-et-Loire, développait une interpellation sur ces événements. Ministériel, il entendait ne pas mettre en cause le Cabinet, mais il lui demandait instamment que les responsabilités fussent établies et les auteurs de ce drame sévèrement punis. Les représentants socialistes étaient obligés d’intervenir. Renou, député de la Seine, monta le premier à la tribune. Délégué par le parti, il avait été chargé de se rendre à Chalon-sur-Saône et d’y procéder à une enquête. Il était donc documenté. Il manifesta le profond étonnement que lui causait l’altitude du parti républicain bourgeois en général et celle du Gouvernement en particulier dans les conflits pacifiques entre patrons et travailleurs. On ne tenait pas compte du grand effort que venait de faire, du grand sacrifice qu’avait consenti le parti des travailleurs en négligeant ses intérêts propres, ses intérêts de classe pour collaborer avec ses adversaires économiques à la défense de la République.

Cette abnégation, quand se présentait une cause juste, une grève motivée, on l’oubliait et l’on frappait sans pitié les grévistes. M. Renou déclara que les événements de Chalon-sur-Saône, ensanglantés par la gendarmerie, ne pouvaient que creuser un abîme entre les socialistes et le gouvernement et il caractérisa