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défaillants ». Quant à l’affaire Dreyfus, évitant de se prononcer catégoriquement sur sa réouverture, il affirma que la pensée du ministère était une pensée de conciliation, d’apaisement « du funeste conflit qui avait divisé le parti républicain ». N’en trouvait-on pas une preuve évidente dans le projet d’amnistie déposé au Sénat, projet auquel M. Joseph Reinach s’était montré si énergiquement hostile ?

Puis, le président du Conseil avait énuméré les principales réformes préparées par le gouvernement : impôt sur le revenu et lois sur les retraites ouvrières ; projet de loi sur les associations en vue d’entraver l’accroissement des biens de main morte. M. Waldeck-Rousseau obtint un succès très vif auprès de la majorité républicaine. M. Ribot monta à la tribune ; avec une grande habileté il mit en ligne tous les faits, tous les arguments destinés à placer le président du Conseil en contradiction avec son passé, sa politique d’hier, ses discours. Si son succès oratoire fut grand, comme d’habitude, son succès parlementaire fut maigre, car il ne put même rallier une cinquantaine de ses fidèles habitués du centre qui étaient sans doute peu favorables à la politique générale du cabinet mais qui restaient partisans résolus de la révision du procès de Rennes. La discussion à peine clôturée reprenait et donnait lieu aux incidents les plus violents. Il s’agissait du rôle joué par un agent de la sûreté générale, M. Tomps, dans les pourparlers en vue de la réouverture de la campagne de révision. M. Tomps avait appartenu, en qualité de fonctionnaire, au bureau du ministère de la guerre d’où était partie toute l’Affaire : il en avait pu suivre de très près l’évolution, d’assez près pour être convaincu de l’innocence du capitaine Dreyfus. Cette conviction doublée d’une action effective suffisait pour le désigner aux haines, aux attaques passionnées des antirevisionnistes. Il fut la cause avec, M. Joseph Reinach, d’une nouvelle discussion à la suite de laquelle le général de Galliffet, qui dans un ordre du jour d’un laconisme et d’une allure tout à fait militaires, avait déclaré « l’incident clos », donna sa démission « pour cause de santé ». Il fut remplacé par le général André.

Le débat devait bientôt reprendre au Sénat, quand vint en discussion le projet d’amnistie déposé par le Gouvernement. Ce projet trahissait les perplexités, les hésitations du Cabinet qui, cependant, sur la question de révision, trouvait une majorité autrement compacte, fidèle que celle qu’il aurait rencontrée — l’aurait-il rencontrée bien forte ? — sur le terrain exclusivement politique et social. L’amnistie pour le capitaine Dreyfus, pour le colonel Picquart et pour Émile Zola, lui paraissait devoir jouer le rôle d’une mesure d’apaisement sinon de réconciliation entre les républicains qu’avait divisés l’Affaire. Le projet devait rencontrer l’hostilité très nette, surtout de ceux qu’avaient le plus émus, indignés les condamnations, les mesures prises contre ceux qu’il entendait amnistier. Ce n’était ni le pardon, ni l’oubli qui convenaient, mais bien la justice complète, éclatante, proclamant l’innocence des injustement