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incombant aux syndicats ouvriers, après avoir indiqué que les associations professionnelles devenaient en situation de posséder, développa cette pensée, que, dans un avenir non éloigné, « le travail demanderait sa rémunération de moins en moins au salaire proprement dit, de plus en plus à une perception directe des bénéfices de ses produits ». À son avis, le jour viendrait « où le capital ne se suffisant plus à lui-même, il faudrait qu’il travaille, comme il faudrait que le travail possède ».

Quant à M. Millerand, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il rééditât le discours dont le retentissement avait été si grand ; néanmoins, il déclara aux travailleurs, qui l’écoutaient, que c’était à eux seuls qu’il appartenait de réaliser leur idéal et il paraphrasa, ou pour mieux dire, il commenta dans les termes suivants la formule socialiste : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Cette formule « il faut l’entendre, déclara-t-il, non pas dans le sens étroit et ridicule qui conduirait — et par quels procédés ? — à diviser la nation en je ne sais quelles catégories, mais dans ce sens large, élevé et fervent que c’est l’homme qui se fait à lui-même sa destinée ; que le temps des miracles est passé, et que c’est à la fois la charge et l’honneur des travailleurs, par leurs efforts incessants, par leur éducation constante, de s’élever, de s’émanciper, de conquérir le bonheur qui est devant eux et qu’ils prendront eux-même dans leurs mains ».

C’était là un commentaire de « concentration politique ». Il ne pouvait avoir qu’une portée temporaire et secondaire. Il fut ainsi considéré par les socialistes qui, sans abdiquer leurs convictions, dans un intérêt de défense républicaine, donnaient leur appui au ministère Waldeck-Rousseau.

Des élections complémentaires dans l’Aube et dans l’Isère marquèrent de sensibles progrès pour le parti socialiste. Mans la 2e circonscription de Troyes, le citoyen Pedron, un des plus fidèles amis de Jules Guesde, obtenait 3.795 voix alors qu’en 1898 le candidat socialiste n’en avait obtenu que 1.606 et dans la 2e circonscription de l’arrondissement de la Tour-du-Pin, le candidat socialiste en gagnait près de 1.300 depuis la même époque où le parti n’en avait obtenu que 343.

La discussion du budget s’accusait de plus en plus lente et le vote d’un quatrième douzième provisoire allait s’imposer, tant les incidents se greffaient sur une foule de points, l’opposition faisant flèche de tout bois pour battre en brèche le gouvernement plus particulièrement chargé d’une mission de défense républicaine. L’initiative des députés en matière de finances avait provoqué un amendement de M. Berthelot, député de Paris, tendant à leur enlever ce droit et, sauf de légères modifications, cet amendement à la loi de finances avait été adopté, grâce à l’appui donné par MM. Jules Roche et Ribot. Cette résolution fort discutable n’a pas, du reste, empêché les dépenses de se développer, surtout celles qui figurent parmi les moins utiles.

Une très vive discussion se déroula le 23 mars à propos d’une interpellation