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marqué, dans le département de la Seine, par l’échec de M. A. Ranc qui avait mené, dès la première heure, une ardente campagne en faveur du capitaine Dreyfus. Par contre, dans la Loire-Inférieure, le général Mercier fut élu sénateur ; — il est ainsi des collèges électoraux qui ne sont vraiment pas difficiles dans le choix de leurs représentants !

Le budget de l’exercice 1900 n’ayant pu être voté en temps prescrit, on vivait sous le régime des douzièmes provisoires — les contribuables n’en sentaient leurs charges ni alourdies, ni allégées — on en reprit la discussion et le budget de la guerre donna au député socialiste Sembat l’occasion d’un discours sur une série de graves abus relevés dans l’administration de l’armée. Dans un langage éloquent, à l’aide de documents précis, il dressa un émouvant réquisitoire contre les compagnies de discipline et les bataillons d’Afrique ; puis il dénonça les tares constatées dans la gestion militaire. Ce discours fut le point de départ d’une discussion qui, sans la souplesse du président du Conseil, aurait pu être funeste au cabinet, car une polémique acerbe, virulente, s’éleva entre M. Camille Pelletan, rapporteur de ce budget spécial et le général Galliffet, ministre de la guerre. C’était la menace d’une irréparable rupture entre le gouvernement et l’extrême-gauche. À M. Camille Pelletan qui avait tracé un tableau assez sombre du rôle joué dans l’armée par les cadres supérieurs transformés en une « aristocratie de plus en plus fermée », le général de Galliffet avait brutalement riposté par un discours sans mesure, au cours duquel il avait dit : « Le discours et le rapport de M. Pelletan, auront produit un effet que n’aura certainement pas voulu M. le Rapporteur du budget de la guerre. Ils auront semé l’inquiétude dans le pays, l’indiscipline dans l’armée et causé la joie de nos ennemis ».

La droite et le centre avaient fort applaudi le ministre de la Guerre et la situation ministérielle devenait périlleuse, d’autant que les socialistes, à l’appui de la thèse soutenue par M. Pelletan, avaient déposé une demande d’enquête parlementaire. Le président du Conseil intervint avec une grande habileté, ménageant à la fois les susceptibilités du rapporteur et du ministre de la Guerre. La demande d’enquête soutenue par les socialistes fut repoussée par 440 voix contre 58. Le général de Galliffet devenait l’enfant terrible du Cabinet ; c’était là un prisonnier décidé à ne pas « lâcher » ceux qui croyaient l’avoir capturé.

Des discussions passionnées se produisirent encore au sujet de l’armée, à tous moments mise à l’ordre du jour, soit dans le Parlement, soit dans la presse, et l’on sentait bien que chaque parti déployait envers elle un zèle rare, afin de l’attirer dans son jeu.

Dans le courant de février, à Saint-Mandé, avait lieu le banquet des Associations ouvrières de production qui, quelques mois auparavant, avaient si puissamment collaboré à l’érection de la statue de Fourier, un des précurseurs les plus puissants du socialisme contemporain. Dans cette salle, au