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et prévoyante », la neutralité la plus stricte s’imposait, puisque le droit de grève est un droit légal, mais cette neutralité ne pouvait aller jusqu’à laisser porter atteinte à « la liberté du travail ». Quant au rôle de la troupe, il ne pouvait commencer que quand la tranquillité publique était menacée par un des deux partis en conflit. Était-il possible au ministre de l’Intérieur d’exercer, même indirectement, une pression matérielle ou morale sur des travailleurs réclamant contre un abaissement plus que sensible des salaires ? C’était là la cause principale de la grève des tisseurs de Saint-Étienne, puisque le prix d’une pièce était descendu de 6 et 7 francs à 2 francs et même à 1 fr. 25. Cette neutralité il ne l’avait abandonnée que le jour où il lui avait semblé nécessaire, urgent, de prendre de sérieuses mesures de précaution. Il déclara du reste, que ce que l’on appelait l’émeute du 4 janvier « avait été exagérée à plaisir » et que « l’ordre matériel n’avait jamais été sérieusement troublé ».

Le président du Conseil prononça un vif éloge des syndicats considérés comme régulateurs de la vie et des revendications des travailleurs ; il se félicita d’avoir pu mettre un terme au différend qui, un instant, avait désuni patrons et ouvriers. Le député socialiste Dejeante avait déposé un ordre du jour exprimant le regret « de l’intervention de l’armée dans les grèves » ; il ne put grouper que 101 voix, et un ordre du jour de confiance en le Cabinet fut adopté par 384 voix contre 74.

Parmi les plus graves reproches adressés par M. Victor Gay au ministre du Commerce, figurait celui d’avoir donné à des ouvriers plaidant contre les patrons, de véritables consultations sur la loi relative aux accidents de travail et sur l’interprétation qui pouvait lui être donnée. Grand crime, en effet, que de donner des avis à des travailleurs, en pareille matière !

Nous ne citerons que pour mémoire la scandaleuse discussion qui se déroula à la Chambre à propos du procès intenté aux Assomptionnistes et, plus particulièrement, de l’attitude de M. Bulot, procureur de la République, qui, au cours de son réquisitoire, avait donné lecture de lettres saisies dans lesquelles les « pères » se réjouissaient de l’élection de certains députés. M. Motte, le puissant industriel qui, grâce à l’appui d’une formidable coalition dans laquelle les conservateurs figuraient au premier plan, avait remplacé Jules Guesde comme député du Nord, avait adressé une question, transformée en interpellation par M. Gourd. Sur la demande du Gouvernement, la Chambre avait ajourné l’interpellation ; mais les Assomptionnistes, sur ces entrefaites, avaient été condamnés à des peines très légères et dissous et il s’en était suivi de véritables manifestations de la part de membres de l’épiscopat français, de l’archevêque de Paris et autres dignitaires de province. Blâme, suppression de traitements avaient été la réponse du Gouvernement, et les attaques de la presse cléricale, de la presse progressiste, en avaient pris une rare acuité.

Quelques jours après avait lieu le renouvellement triennal du Sénat : il fut