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il envisageait surtout la nécessité de lutter contre la faction nationaliste et il laissait au ministère le soin d’en accepter les lourdes responsabilités. La Chambre se réservait de marquer son orientation en matière sociale et elle le fit en élisant, une fois de plus, contre M. Brisson, M. Paul Deschanel comme président de la Chambre. C’était surtout l’homme politique qui avait prononcé de vastes discours contre le socialisme collectiviste qu’elle désignait, pour marquer son sentiment dominant en matière sociale. Au Sénat, M. Fallières était réélu président.

La première question importante qui se présenta au Palais-Bourbon, fut une double interpellation sur les grèves qui s’étaient produites au cours de l’intersession ; celles de Saint-Étienne et celles du Doubs. Ce fut un membre du parti socialiste, Dejeante, qui développa l’interpellation relative aux grèves du Doubs dans lesquelles la troupe était intervenue. La responsabilité de cette intervention il ne la faisait pas remonter au gouvernement mais à l’administration préfectorale qu’il accusa, documents en mains, de s’être montrée d’une partialité évidente en faveur des patrons, en logeant les soldats dans les locaux patronaux. Sous cette pression militaire, compliquée de la pression administrative et judiciaire — des condamnations avaient été prononcées contre certains grévistes — les travailleurs avaient dû céder, reprendre leur travail, sans avoir obtenu la moindre satisfaction. En termes très énergiques, l’orateur socialiste, après avoir protesté contre la neutralité violée, s’éleva contre les mesures d’intimidation prises au mépris de toute équité et il manifesta la vive surprise que pouvaient provoquer de tels actes de la part d’un gouvernement qui comptait dans ses rangs un ministre recruté dans les rangs socialistes.

L’interpellation sur la grève et les « troubles » de Saint-Étienne fut développée par M. Victor Gay qui s’attacha plus particulièrement à mettre en cause M. Millerand, l’accusant d’avoir fréquemment agi « seul », sans consulté ses collègues du Cabinet. Il manifesta le vif regret de ce que le Gouvernement, après avoir toléré les réunions, les cortèges, les chants des grévistes sur la voie publique, les eut brusquement interdits. Cette attitude avait été la cause la plus certaine des troubles graves qui s’étaient produits. Au demeurant, M. Gay rendait le Cabinet responsable d’une situation au cours de laquelle l’ordre avait été profondément troublé, la liberté des travailleurs ouvertement violée, et du grand préjudice causé, affirmait-il, à l’industrie, non-seulement de Saint-Étienne, mais encore dans les départements voisins.

M. Millerand, ministre du Commerce, répondit, réfutant les accusations portées contre lui et affirmant que jamais il n’avait agi sans en avoir avisé ses collègues. C’était, en réalité, au président du Conseil, ministre de l’Intérieur, que s’adressait l’interpellation et il y répondit en un discours au cours duquel, tout en étudiant les événements de Saint-Étienne, il exposa l’attitude que comptait prendre le Gouvernement en matière de grève. Cette attitude serait « ferme