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dégagé et est devenu le programme du prolétariat socialiste universel ; il ne reste de divergences que dans le domaine de la tactique, cette dernière étant subordonnée aux traditions, au tempérament, aux conditions politiques de chaque collectivité humaine.

L’année 1900, ainsi que nous le verrons par la suite, restera une année mémorable dans l’histoire du socialisme français et du socialisme international.

Ce n’est que dans les premiers jours de janvier que la Haute-Cour avait liquidé, dans les conditions précédemment indiquées, le procès qu’elle avait eu à juger ; les polémiques, loin de désarmer, restaient toujours d’une rare violence. La « cause nationaliste » paraissait perdue en France ; à Paris il n’en allait pas de même, en raison surtout des hésitations de nombreux républicains qui, de crainte de froisser leurs électeurs, le renouvellement du Conseil municipal devant s’effectuer en mai, n’osaient pas émettre une opinion ferme sur l’affaire Dreyfus, toujours pendante. Toutefois, les manifestations s’étaient apaisées, la rue était calme et c’était là un point essentiel.

Le cabinet Waldeck-Rousseau allait subir sa première épreuve, importante en raison de sa constitution, de la présence d’un socialiste au ministère du Commerce. Dans la seconde quinzaine du mois de décembre, une grève se déclarait à Saint-Étienne parmi les tisseurs réclamant des conditions moins dures quant au travail et aux salaires. Tout d’abord, il fut permis aux grévistes de se réunir, puis de former des cortèges dans les rues et sur les places publiques ; mais cette attitude tolérante des pouvoirs publics ne devait pas durer. Sur les réclamations et les excitations de la presse modérée ou conservatrice, le 26 décembre, le Gouvernement avait cru devoir donner l’ordre de réprimer des manifestations que, jusqu’alors, il n’avait pas considérées comme dangereuses. Ainsi qu’il était à prévoir, cette brusque transition aggravée par l’attitude de la police déchaîna des colères parmi les grévistes dont s’étaient rendus solidaires de nombreux ouvriers. L’arrivée de la troupe, l’intervention des dragons porta à son comble l’exaspération ; les manifestations pacifiques d’abord dégénérèrent en manifestations fatalement tumultueuses ; le 4 janvier, des rixes violentes se produisirent entre la police, la cavalerie et les grévistes, sur la place Marengo et aux abords. Si, heureusement, personne ne fut tué, les blessés, plus ou moins grièvement, furent nombreux. L’« ordre » régna, une fois de plus ; mais ce fut comme un premier nuage entre le ministère et le parti socialiste, il ne devait pas être le dernier.

La situation politique, du reste, était fort paradoxale, pleine de contradictions, et, à l’évoquer, on se demande comment le Cabinet put y résister aussi longtemps. Le Parlement en faisant au nouveau ministère un accueil en apparence favorable, n’était pas sans inquiétude sur sa composition ; la présence de M. Millerand qui avait développé le programme « collectiviste » de Saint-Mandé, excitait ses défiances, tout en lui procurant la satisfaction de voir son arrivée au Gouvernement devenir un sujet de discorde entre socialistes ; mais