Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ques, avec M. Max Régis, dans le parti antisémite, contre qui un mandat d’amener avait été lancé, s’était fortifié dans une maison de la rue de Chabrol annonçant que ses amis et lui feraient feu sur quiconque tenterait d’y pénétrer pour le mettre en état d’arrestation. Ce fut là un siège mémorable qui provoqua la curiosité des Parisiens, mais mit en regrettable relief la longanimité et la faiblesse du Gouvernement, alors qu’un détachement de pompiers eût rapidement effectué cette simple opération de police.

Le 18 septembre commençait devant le Sénat, transformé en Haute-Cour, sous la présidence de M. Fallières, le procès qui fut marqué par les incidents les plus violents et qui ne devait se terminer que le 4 janvier 1900 par la condamnation de MM. Paul Déroulède, de Lur-Saluces et André Buffet à dix ans de bannissement, de Jules Guérin à dix ans de détention ; enfin M. Marcel Habert qui s’était constitué prisonnier au cours du procès, jugé seul, fut condamné plus tard à cinq ans de bannissement. Les autres accusés furent acquittés.

L’initiative du gouvernement avait ramené le calme dans la rue, mais ce calme n’était pas revenu dans les esprits au moins à Paris, ainsi que les événements devaient bientôt le démontrer.

Tout semblait, du reste, s’accumuler pour rendre difficile, même au point de vue politique, l’évolution de la République, les circonstances extérieures venant se greffer sur les incidents si mouvementés de la situation intérieure. La mission Marchand, après avoir, parmi de grandes difficultés, traversé de l’ouest à l’est l’Afrique, avait atteint le Bar-el-Gazal et gagné Fachoda. L’Angleterre avait vu dans ce fait une atteinte directe à sa situation en Égypte et à ses projets vers les provinces équatoriales placées sous la suzeraineté du vice-roi. Elle avait réclamé l’évacuation de Fachoda et présenté au Gouvernement français des observations très nettes, tellement pressantes qu’on avait pu redouter un conflit armé et qu’on s’y était hâtivement préparé. Les angoisses étaient grandes. Allait-on s’engager pour une question d’amour-propre, pour une acquisition dans une région si éloignée des possessions françaises, dans une aventure de guerre grosse d’incertitude, étant donnée l’infériorité manifeste de notre marine ? Et quelles autres complications européennes pouvaient surgir de ce conflit ? Après des négociations laborieuses, des hésitations, le parti de la sagesse, de la paix, remporta et ce fut un bonheur à tous les points de vue. Le commandant Marchand fut rappelé et Fachoda évacué.

La conclusion de cette si grave affaire provoqua une détente dans la majorité du pays peu soucieuse de voir une guerre éclater pour un coin du continent noir qui, sans profit, n’aurait fait qu’augmenter les charges, déjà lourdes, du budget colonial et les soucis d’une politique marquée par de nombreux et cruels mécomptes mais la paix assurée ne pouvait satisfaire tout le monde, particulièrement ceux qui, dans le patriotisme tel qu’ils le comprenaient et l’exploitaient au point de vue politique, cherchaient et malheureusement trouvaient des