Page:Jaurès - Histoire socialiste, XII.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.

positif, mais que je lui donnais un ordre moral, sous ma responsabilité, d’en donner communication aux juges du Conseil de guerre, parce que j’estimais qu’il y avait là des présomptions graves dont il était indispensable qu’ils eussent connaissance ».

Entre toutes les dépositions, une, fut particulièrement sensationnelle, celle de M. Casimir-Périer, ancien président de la République, dont la démission avait été si inattendue, les causes en étant restées enveloppées d’un mystère troublant. Après avoir déclaré qu’il n’avait eu communication d’aucun dossier avant la condamnation du capitaine Dreyfus, qu’il n’avait pas joué de rôle dans cette affaire dont il avait été systématiquement tenu à l’écart par le Cabinet, tant au point de vue militaire que diplomatique, il ajouta :

« J’ai fidèlement et complètement relaté le seul incident diplomatique que j’aie connu. Il était fait appel à ma loyauté personnelle ; j’ai dit à l’ambassadeur d’Allemagne la vérité sans détours, estimant que c’était la seule explication que pouvait donner celui qui parlait au nom de la France. Rien dans cet incident diplomatique ne pouvait déterminer ma démission.

« J’ai, quoiqu’il m’en coûte, le devoir d’ajouter un mot : parmi les considérations et les faits qui m’ont conduit à donner ma démission et que j’ai voulu taire, parce qu’en me taisant je ne faisais tort qu’à moi-même ; il est un fait qui a un lien trop étroit avec l’incident dont je viens de parler pour que je m’expose au reproche de ne pas l’avoir dit.

« Quand j’ai dû conférer avec l’ambassadeur d’Allemagne, le ministre des Affaires étrangères était absent de Paris.

« Je savais qu’il avait eu sur l’affaire Dreyfus des entretiens avec l’ambassadeur, mais malgré mes observations antérieures, il s’était abstenu de me les faire connaître. Ce n’est ni l’heure ni le lieu d’expliquer dans quelle mesure je juge la présidence de la République dépourvue de moyens d’action.

« Je demeurais, dès lors, exposé à m’entendre dire un jour, dans des circonstances plus graves, par un représentant de l’étranger, que mes déclarations n’étaient pas conformes à celles du ministre des affaires étrangères de France.

« Voilà des considérations qui ont pesé sur ma conscience. Mais, je le répète, l’incident diplomatique avec l’Allemagne n’a été pour rien dans ma démission. »

Le 9 septembre, par cinq voix contre deux, le conseil de guerre déclarait de nouveau le capitaine Dreyfus coupable de trahison, mais accordait les circonstances atténuantes ! C’était une véritable proclamation morale d’innocence que devait suivre la remise de la peine, c’est-à-dire la grâce, jusques et y comprise la remise de la dégradation militaire.

La victime de la « justice militaire » était libre, graciée, mais non proclamée effectivement innocente. La tâche des révisionnistes n’était pas terminée et l’agitation nationaliste loin de désarmer s’intensifiait de jour en jour, mais