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et d’action qui, sauf quelques réserves, avait obtenu l’adhésion générale.

Devait-il accepter le portefeuille ? les avis étaient partagés et des querelles s’élevèrent très vives entre ceux qui maintenaient l’intransigeance de leur programme de classe et ceux qui, comme au temps du boulangisme, estimaient que le parti socialiste, dans les circonstances présentes, ne pouvait s’isoler, s’éloigner de l’action de défense républicaine et la majorité approuva l’attitude de M. Millerand.

Le 26 juin, le ministère Waldeck-Rousseau se présentait devant le Parlement et donnait lecture de sa déclaration dont le passage principal était un appel à la concentration de tous les républicains sincères, pour la défense des institutions et une indication très nette sur l’affaire qui agitait les esprits :

« La Chambre en exprimant la résolution de ne soutenir qu’un Gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines et à assurer l’ordre public, a nettement défini la tâche qui s’impose au nouveau cabinet.

« Il n’a d’autre ambition que de l’accomplir.

« S’agissant de maintenir intact le patrimoine commun, nous avons pensé que les divisions de parti devaient s’effacer et que l’œuvre que nous allions entreprendre exigeait le concours de tous les républicains.

« Quand le but est précis et qu’il ne varie point avec les méthodes ou avec les écoles, l’accord devient facile, les controverses se taisent en présence d’un même devoir à remplir.

« Mettre fin à ces agitations dirigées, sous des dehors faciles à percer, contre le régime que le suffrage universel a consacré et qu’il saura maintenir ; exiger dans tous les services un concours fidèle, le courage des responsabilités, telle doit être la première préoccupation du gouvernement qui se présente devant vous.

« Il ne dépendra pas de lui que la justice n’accomplisse son œuvre dans la plénitude de son indépendance. Il est résolu à faire respecter tous les arrêts, il ne sait pas distinguer entre ceux qui ont la redoutable mission de juger les hommes et, si le vœu du pays est avant tout écouté, c’est dans le silence et le respect que se prépareront ses décisions. »

La tâche qui incombait au nouveau ministère était de liquider l’affaire Dreyfus ; de rétablir l’ordre et d’achever la préparation de l’exposition internationale qui devait couronner la fin du xixe siècle.

Le 1er juillet, dans le plus grand mystère et avec les plus grandes précautions, le capitaine Dreyfus rentrait en France, nuitamment débarqué dans un petit port de pêche de Bretagne, non loin de Quiberon, à Porl-Haliguen ; de là il était transporté et emprisonné à Rennes.

Rarement une cause judiciaire transformée en événement politique avait si fortement ému l’opinion, déchaîné d’aussi violentes passions, d’aussi virulentes controverses. Les divisions qu’elle avait semées dans le pays