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un gouvernement de concentration entre le centre gauche et l’extrême-gauche, plutôt un cabinet d’affaires que d’action, mais il ne put aboutir en raison du choix qu’il avait fait comme collaborateur de M. Barthou, dont de nombreux républicains n’avaient pu oublier le rôle par lui joué aux élections de 1898, alors que, dans le cabinet Méline, il détenait le portefeuille de l’Intérieur. Les hostilités que suscitèrent ce choix déterminèrent M. Poincaré à abandonner sa mission.

M. Waldeck-Rousseau, dont le premier passage aux affaires dans le cabinet Gambetta avait été fort remarqué, qui était un des orateurs les plus froids mais les plus remarquables du Parlement et avait conquis une très grande influence, avait accepté la tâche de constituer le ministère : elle n’était pas aisée ; la situation était difficile au dedans et au dehors ; le Parlement était divise par les rivalités et les indécisions ; les compétitions s’accusaient nombreuses. L’heure était venue de tenter une œuvre avant un double caractère : la concentration des forces réellement républicaines et une orientation plus nette, capable de prouver que la République voulait enfin entrer dans la voie des réformes sociales d’un caractère précis, effectif et large.

Après plusieurs jours de pourparlers, de négociations, la constitution du nouveau cabinet paraissait à l’Officiel. Ce fut une véritable stupéfaction. M. Waldeck-Rousseau, avec le portefeuille de l’Intérieur, prenait la présidence du Conseil ; le général de Galliffet était à la Guerre, M. de Lanessan à la Marine ; M. Monis, à la Justice ; M. Delcassé, aux Affaires étrangères ; M. Millerand, au Commerce ; M. Caillaux, aux Finances ; M. G. Leygues, à l’Instruction publique ; M. P. Baudin, aux Travaux publics ; M. Decrais, aux Colonies ; M. J. Dupuy, à l’Agriculture.

Que des républicains eussent pu songer au général Galliffet, l’homme aux exécutions sommaires de mai 1871, l’ancien familier des Tuileries, le fougueux réacteur sous l’ordre moral et le 16 mai, pour en faire un ministre de défense républicaine, dans un cabinet où figurait un socialiste ; qu’il eut lui-même accepté d’en faire partie, il y avait de quoi surprendre, émouvoir l’opinion. Mais il apparut bientôt qu’il n’avait été choisi que pour mater les chefs militaires trop nombreux qui s’étaient laissé entamer par la contamination nationaliste et antisémite. On avait pensé qu’il se montrerait aussi sévère, aussi énergiquement implacable envers les officiers indisciplinés qu’il l’avait été contre les républicains révolutionnaires de Paris. C’était une grave imprudence ; elle n’eût toutefois pas les funestes résultats qu’on était en droit d’appréhender. Sous son action énergique, brutale, les « bavards » de l’armée durent se taire et la révision du procès Dreyfus put s’activer.

L’entrée de M. Millerand dans le ministère avait surpris les bourgeois républicains et les socialistes. C’était lui qui, au cours du banquet tenu à la Porte-Dorée au lendemain des élections municipales de 1896 qui avaient marqué le grand développement du parti socialiste, avait tracé un programme de doctrine