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CHAPITRE V


La bourgeoisie évolue vers la République. — Le Pays rural et le Peuple des villes. — Ce que coûte une guerre. — Leçon de choses. — Les élections du 2 juillet 1871. — Une manifestation.


Malgré les incessantes conspirations royalistes, les menées bonapartistes, les hésitations du Centre-gauche de l’Assemblée nationale, les tergiversations de M. Thiers, masquées sous des apparences d’entêtement autoritaire ; malgré l’exploitation du spectre de la Commune, de l’Internationale, du Communisme, du drapeau rouge, des incendies, le pays, lentement, mais avec une rare sûreté, une volonté, consciente parfois, instinctive plus souvent, s’oriente vers la République et il le manifeste à chaque fois qu’une occasion se présente. C’est que, depuis 1814 et 1815, il n’a reçu une leçon de choses aussi terrible, aussi démonstrative. Plus développé, un peu plus instruit, quoique l’instruction ne soit pas encore généralisée, cette leçon le peuple l’a comprise, non seulement le peuple qui travaille, qui produit la richesse, mais encore la moyenne, mais encore la haute bourgeoisie financière, industrielle et commerciale.

C’est que l’on comprend enfin à quels dangers de toute nature s’expose un pays en remettant ses destinées aux mains d’un homme dont le pouvoir, émané du suffrage universel, est fatalement au-dessus de tout contrôle et rebelle à tout frein constitutionnel. Du reste, n’est-il pas l’inspirateur de la Constitution et n’est-elle pas réglée par ses partisans, ses serviteurs, ses complices, issus du même factice courant d’opinion qui l’a porté au pouvoir ?

Tout était pour provoquer le ralliement à la République, déjouer toutes les manœuvres monarchiques, forcer M. Thiers à suivre le courant qui irrésistiblement emportait la grande majorité de la France. C’était à la tribune même de l’Assemblée nationale que s’instruisait, au grand jour, en des discussions documentées, passionnées, le procès de l’Empire ; que s’étalaient la corruption, l’imprévoyance, l’incompétence du régime politique et de ses organes administratifs. La guerre n’avait été entreprise que pour tenter la consolidation de la dynastie ou de la sauver ; entreprise sans armée, sans outillage ni approvisionnements de campagne, simplement avec des illusions stupéfiantes. De cette guerre, il fallait maintenant payer les frais formidables ; mais rien ne pourrait supprimer les deuils, ressusciter les milliers de morts, effacer les désastres et rendre au pays les provinces brutalement arrachées. Puis, il